Comme à son habitude, et plus encore, elle a foncé. Elle a tout donné pour convaincre, encore et encore, que le bien-être commun passait par le Nouveau Front populaire (NFP). Youlie Yamamoto nous reçoit chez elle, « épuisée », mais avec cette énergie communicative qui nous fait la suivre, en chanson, le poing levé.
Cette victoire du Nouveau Front populaire aux élections législatives a-t-elle été une surprise pour vous, militante de terrain ?
À Attac, nous avions prévu un communiqué en cas de majorité relative du Rassemblement national et un autre en cas de majorité absolue. Mais rien avec l’hypothèse de la victoire du NFP, tant elle semblait improbable. Oui, c’est une vraie surprise.
Mais moi qui suis mobilisée dans les mouvements sociaux depuis des années, je sentais comme un parfum dans l’air, des signaux avec une mobilisation inédite, déterminée. Il y avait cette petite musique d’espoir présente. Nous avons su travailler ensemble, et le peuple de gauche est encore bien vivant.
Avec une majorité très relative pour le NFP, quelles espérances est-il possible d’avoir ?
Nous sommes conscients des difficultés, des blocs au sein du NFP et de la tentative de sabotage d’Emmanuel Macron face à cette victoire. Le président est dans le déni, mais la victoire du NFP, c’est bien celle de l’expression du rejet du macronisme.
Depuis longtemps, ce gouvernement, avec l’aide des médias de Vincent Bolloré, stigmatise la gauche. Mais durant sept ans, il a montré à quel point il n’était pas républicain. La liberté a été mise à mal avec la loi sécurité globale, la loi séparatisme et des atteintes aux libertés publiques inégalées.
En guise d’égalité, il a détruit les services publics, la protection sociale avec les lois retraite et chômage et il a distribué des cadeaux fiscaux aux plus riches. Quant à la fraternité, nous avons eu droit à la loi immigration…
Il y a aujourd’hui une bataille culturelle à mener. La gauche peut trouver des solutions institutionnelles pour faire passer son programme. Les textes qui ont l’assentiment de la majorité de la population ne devraient pas avoir trop de difficultés à être validés. Ensuite, il existe les décrets… mais en dehors de ces logiques institutionnelles, nous devons pouvoir imposer des mesures pour une justice sociale et écologique. Et il va bien falloir mettre en question le partage des richesses.
Comment la gauche doit-elle se comporter ?
Notre rôle, en tant que société civile, c’est de fédérer le rassemblement, l’unité, l’espoir. Ne gâchons pas cette opportunité. Il faut considérer le NFP comme une union sacrée, dont nous devons prendre soin et nous veillerons à ce qu’il ne s’embourbe pas dans une logique de partis.
Le programme du NFP répond aux besoins urgents des gens. Le plus important, c’est son application. Et non, les mesures ne vont pas mener le pays au bord du gouffre. Elles sont chiffrées, argumentées. À nous de rebooster nos argumentaires.
Le Rassemblement national, même s’il ne s’est pas imposé, confirme sa percée inquiétante. Vit-on dans une France fracturée ?
Ce n’est pas de la faute des immigrés si les gens n’arrivent pas à boucler leur fin de mois et si les factures explosent. Mais ce discours, face au RN, ne marche pas tant que ça. Alors, si la vie des gens change concrètement avec des mesures qui ont du souffle – pouvoir se déplacer, se soigner, remplacer les profs absents, partir à la retraite plus tôt –, ils auront moins peur de leur avenir et ne se focaliseront plus sur des boucs émissaires.
Ces dernières années, toutes les politiques menées n’ont fait que détruire encore et encore les services publics, isolant toujours plus les populations. Le Rassemblement national progresse avec de terribles mensonges, car il a la même vision libérale de l’économie, avec une politique bénéficiant aux riches et aux patrons. Mais si nous apportons un peu plus de bien-être, les gens n’iront pas chercher des responsables, qui ne sont pas les vrais mais qui leur semblent accessibles.
Vous expliquez qu’il est important de créer des espaces, des événements, pour que chacun puisse se rencontrer. Pourquoi ?
Renforcer le tissu associatif, créer des espaces de solidarité, faire que les gens éteignent leur télé et sortent de chez eux, c’est aussi briser le mythe de l’étranger délinquant. Avec les comités locaux d’Attac, nous allons présenter des propositions pour créer des espaces d’unité.
« Ce n’est pas la haine et le rejet de l’autre qui fera que nous mangerons mieux à la fin du mois. »
Les déserts provoqués par la fermeture des services publics font qu’on ne se croise plus, on ne se parle plus. Créer du lien social, c’est pourtant précieux. Dorénavant, à Attac, nous n’organiserons plus de meetings seuls. Nous avons repoussé un péril imminent, mais ce sursaut n’est qu’un sursis.
Ce n’est pas la haine et le rejet de l’autre qui fera que nous mangerons mieux à la fin du mois. À nous de proposer des horizons joyeux. Nous avons le droit d’aspirer au bonheur.
Comment est venu votre engagement ?
Je viens de la France qui souffre, tributaire de notre système social. Ma mère est issue d’un milieu très pauvre. Mon père, japonais, est d’une famille de samouraïs, mais pauvre. Il est arrivé en France pour étudier à l’université et a rencontré ma mère, serveuse au Crous. Ici, il a subi le racisme. Encore il y a peu, quelqu’un lui a dit : « Tu comprends pas le français, hein, chinetoque ? » alors qu’il parle un français impeccable.
Enfant, j’ai eu le droit à toutes les « blagues » bien lourdes sur mes origines asiatiques, façon Michel Leeb. Plus tard, j’ai vécu la discrimination positive : les Japonais sont forcément loyaux, travailleurs, disciplinés… Je n’avais aucune culture politique, je ne savais même pas distinguer la gauche de la droite. Mais à la fac, j’ai fait de la danse africaine avec une prof engagée. Ce qui m’a amenée à la COP21, avec un spectacle.
Parallèlement, alors que je tentais de venir à bout de mon obésité, je me suis penchée sur la médecine alternative et je me suis aperçue que ce n’était pas uniquement mon métabolisme qui était défaillant, mais aussi que la nourriture que j’avais à disposition ne m’était pas adaptée.
J’ai découvert les luttes contre l’industrie agroalimentaire. En déménageant en Seine-Saint-Denis, à Montreuil, j’ai fait la connaissance d’Attac. J’y suis allée à 200 %, déboulant dans l’univers militant sans oser dire que j’étais issue d’un milieu populaire. Je n’avais pas les mêmes réflexes. Depuis les gilets jaunes, tout ça c’est « désnobisé ». Et je m’excuse de moins en moins d’exister.
Et votre conscience féministe ?
Dans ma famille, les femmes sont fortes. Mon père, même s’il n’a jamais posé le mot, est féministe. C’est le patriarcat au sein de la gauche qui a construit mon féminisme. J’ai subi tellement de sexisme et de violence dans mon propre milieu d’émancipation, syndical et associatif !
J’ai fait mes classes en 2016 à Nuit debout, où des revendications étaient très à l’avant-garde. J’étais en rébellion, avec une vision intersectionnelle, sans passer par les codes de l’apprentissage, la théorie. En 2016, j’ai commencé à écrire en inclusif dans tous mes échanges. Je m’en suis pris plein la gueule mais c’était une façon visible de militer. Vient 2018, la vague #MeToo. Le féminisme n’était plus une lutte annexe, mais un outil politique d’émancipation, présent dans chaque revendication.
Les Rosies sont nées dans la foulée, en 2019, lors de la première mouture de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron…
Oui. L’électrochoc, ça a été les propos d’Édouard Philippe expliquant que les femmes seraient les grandes gagnantes de la retraite à points. Il avait tendu le bâton pour se faire battre d’une manière magistrale. Aurélie Trouvé, alors porte-parole d’Attac, a dit : « Ça, c’est de la faute à Macron » et la chanson détournée est née sur l’air d’« À cause des garçons ». C’est devenu un clip.
J’avais envie d’un univers 1980 pop avec des boucles d’oreilles cerises, en mode pin-up pour jouer sur le cliché féminin. On avait des bleus de travail utilisés pour une action d’Attac. On les a revêtus. On a mis des gants jaunes, un fichu rouge sur la tête. Les Rosies, à l’image de Rosie la riveteuse, étaient nées.
Depuis, les Rosies investissent les manifestations en chantant, dansant. Qu’est-ce qu’apporte ce mode d’action ?
Je crois beaucoup au pouvoir de la joie. Les Rosies s’affichent de manière spectaculaire, comme on peut le voir dans les mouvements LGBT. En se déguisant, en chantant, en dansant, elles se réapproprient leur corps, s’imposent dans l’espace public et reprennent leur destin en main.
On se serre les coudes et on ne peut pas nous invisibiliser dans cet espace pluriel où tout le monde a sa place. On nous a souvent traitées de naïves, avec un certain mépris sur notre façon de faire. Mais la joie, c’est un levier, une force extrêmement résistante, qui fédère. Et éminemment politique.
Manifeste des Rosies, de Lou Chesné et Youlie Yamamoto, aux éditions Les Liens qui libèrent. 158 pages. 12 euros.
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