Ses yeux ne décollent pas du téléphone malgré les manifestations de joie autour de lui. Comme si Roland Lescure ne daignait pas regarder la défaite en face. Les applaudissements ne lui sont pas destinés. Le ministre délégué chargé de l’Industrie, seul assis aux bancs du gouvernement, ne peut même plus compter sur le soutien des siens, les troupes macronistes ayant déserté l’Hémicycle pour ne pas avoir à assumer un vote contre. C’est un refus d’obstacle, une capitulation, une bérézina. C’est surtout sans précédent : une victoire inédite sous la Ve République, qui voit une loi de l’opposition adoptée puis promulguée contre l’avis du gouvernement.
Ce 9 février 2023, en pleine crise de l’énergie, le pouvoir législatif a triomphé du pouvoir exécutif. L’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture à 205 voix contre 1, une proposition de loi (PPL) visant à la nationalisation d’EDF et à la restauration des tarifs réglementés. La première pierre d’un énorme camouflet infligé par la gauche à Emmanuel Macron et sa majorité relative. Un an et deux mois plus tard, bien qu’affaibli par la droite, le texte porté par le socialiste Philippe Brun puis le communiste Sébastien Jumel sera définitivement voté, après un troisième examen au Sénat.
Au soir du second tour des législatives 2022, il fallait pourtant être audacieux pour parier sur un tel scénario avec une gauche d’à peine 150 élus, dans un Palais Bourbon penchant dangereusement à droite. Réforme des retraites, loi immigration, loi antisquat… Depuis deux ans, il est régulièrement question des revers subis par les parlementaires de l’intergroupe de la Nupes, moins des triomphes.
Mais l’absence de majorité absolue à l’Assemblée et le fait qu’un parti d’opposition – « Les Républicains » (LR) – domine le Sénat ont tout de même ouvert la voie à de possibles succès, avec des rapports de force au cas par cas. Car, seule, la gauche ne peut rien. Mais elle revendique tout de même, depuis 2022, au minimum une vingtaine de victoires : constitutionnalisation de l’IVG, rejet du Ceta, protection des enfants victimes de violences intrafamiliales, revenus agricoles, reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le massacre du 17 octobre 1961… À chaque fois, il a fallu convaincre hors de ses rangs. Neuf parlementaires racontent, pour l’« Humanité magazine », comment ils ont bâti leur succès.