« Même quand j’étais mineure, aller au bureau de tabac pour m’acheter des cigarettes n’a jamais été un problème. La plupart du temps, on ne me demandait pas mon âge, et quand c’était le cas – disons une fois sur cinq – une simple photo d’identité retouchée permettait d’obtenir ce que je voulais. »
Voilà près de trois ans qu’Adèle, étudiante de tout juste 18 ans, fume. Théoriquement interdite aux mineurs, la vente de produits du tabac chez les buralistes est pour elle, comme pour nombre de ses amis, la voie d’approvisionnement classique, un geste banal loin de générer des sueurs froides.
C’est pour contrer cet état de fait et dénoncer l’inaction de l’État en la matière que l’Alliance contre le tabac (ACT) a décidé de porter l’affaire en justice, ce mercredi 16 octobre, selon des informations obtenues par l’Humanité. Une procédure inédite.
« C’est à l’État de protéger les jeunes de l’addiction à la nicotine »
Inspirée par la campagne « l’Affaire du siècle » et par les poursuites lancées contre l’État pour inaction climatique, la procédure ne vise pas directement les buralistes mais les pouvoirs publics – en l’espèce le premier ministre, ceux de l’Économie, de l’Intérieur et de la Santé, ainsi que la Direction générale des douanes –, pour leur « incapacité à faire respecter l’interdiction de la vente et de l’offre aux mineurs ».
« C’est à l’État de protéger les jeunes de l’addiction à la nicotine, or l’administration ne fait quasiment rien pour contrôler les débitants de tabac et vérifier qu’ils respectent la loi, détaille Martin Drago, responsable du plaidoyer à l’ACT. Au contraire, le directeur général des douanes, Florian Colas, et le nouveau ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, ont prévu, comme leurs prédécesseurs, d’aller soutenir la profession au Congrès national des buralistes, qui s’ouvre ce jeudi… »
« Raisonnablement optimiste » sur l’issue de cette « requête contentieuse » devant le Conseil d’État, qui devrait donner lieu à une première décision « d’ici un an », l’ACT espère qu’elle permettra de sortir de l’opacité et d’obtenir des chiffres précis de l’administration.
74 % des jeunes mineurs se sont procuré du tabac
Contactée par l’Humanité, la Direction générale des douanes indique que, même si les buralistes sont bien les « préposés de l’administration », il n’est « pas de son ressort de faire respecter l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs, qui constitue une infraction de droit commun. Nos contrôles portent d’abord sur la marchandise et les réseaux de revente illégale ».
Si l’État semble détourner le regard de ce contournement massif de la loi, les études des associations, elles, sont sans équivoque : au cours des douze derniers mois, 74 % des jeunes mineurs se sont procuré du tabac chez un buraliste et 81 % d’entre eux disent n’avoir pas fait l’objet d’un contrôle d’identité, pointe le Comité national contre le tabagisme, dans une enquête menée fin 2023.
En 2017, le Québec a chargé vingt-huit inspecteurs de contrôler les buralistes sur la vente aux mineurs. « La part des commerçants qui ne respectaient pas l’interdiction est aussitôt passée de 63 % à 7,5 %, témoigne Martin Drago. Dès que les pouvoirs publics agissent, cela a un impact. »
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