Par Maryse Dumas, syndicaliste
Chaque année, le 14 novembre, une curieuse cérémonie se déroule au cimetière de la Chartreuse, à Bordeaux. On y voit le ou la consul·e du Pérou, et des musiciens péruviens. On y voit aussi des militantes et militants de l’Institut CGT d’histoire sociale de la Gironde, ainsi que des représentant·es de la municipalité. Prises de parole, chants et musique péruviens se succèdent dans une tonalité dynamique et joyeuse, inhabituelle dans ce lieu. Tout ceci en hommage (femmage ?) à Flora Tristan décédée, à seulement 41 ans, à Bordeaux, il y a 180 ans. Née en 1803, d’un père péruvien, aristocrate, et d’une mère émigrée de la Révolution française, Flora Tristan n’a jamais réussi à faire légitimer sa naissance. Le mariage de ses parents, consacré religieusement en Espagne, n’a aucune existence légale dans la France de Napoléon Ier. À la mort de son père en 1807, elle devient une « enfant naturelle », mise à l’index de la société et sans héritage. C’est son premier affrontement avec l’ordre patriarcal.
À 17 ans, le patron de l’atelier dans lequel elle travaille comme ouvrière l’épouse. Deux garçons et une fille naîtront. Cette dernière sera la mère du grand peintre Paul Gauguin. Le mari de Flora est possessif et violent, il la brutalise et refuse la séparation de corps qu’elle demande. Elle le quitte et se bat pour obtenir la reconnaissance de cette séparation et la garde de ses enfants, ce qui est impossible sous le Code napoléonien. Ce sera son deuxième affrontement avec le système patriarcal.
En 1838, son mari essaie de l’assassiner de plusieurs coups de révolver. Deux balles ne pourront être retirées de son corps et lui laisseront une santé très fragile. On ne parlait pas encore de féminicide mais de crime passionnel ou de crime « d’honneur ». Cependant le criminel est condamné à vingt ans de réclusion. La séparation de corps est acquise mais pas le divorce, que le Code Napoléon interdit alors que la Révolution française l’avait autorisé. Pour se faire légitimer, Flora s’embarque pour le Pérou. Sa famille paternelle l’accueille, lui attribue une pension, mais lui refuse la reconnaissance qu’elle attend. Au retour, elle écrit « les Pérégrinations d’une paria ». Le livre fait scandale au Pérou. On lui supprime la pension. C’est pourtant ce livre qui construira sa notoriété dans ce même pays. Dans ce livre et dans ceux qui suivront, Flora Tristan révèle un vrai talent d’écrivaine, mais aussi de fine observatrice de la vie des plus humbles. Elle défend l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort, tout en dénonçant partout, toujours, le sort inégal fait aux femmes. Elle écrit, dit-elle, pour que « les femmes fassent parler leur douleur ».
À Londres, elle prend conscience de la condition ouvrière, « L’esclavage n’est plus à mes yeux la plus grande des infortunes humaines, depuis que je connais le prolétariat anglais. » Grâce à une souscription réalisée parmi les ouvriers et quelques personnalités, elle publie son œuvre majeure : l’« Union ouvrière ». Femme d’action, elle décide d’un tour de France pour convaincre « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » de la nécessité de son union. Sa mort ne lui laisse pas le terminer. Ses obsèques donnent lieu à un immense cortège ouvrier. En 1848, les « travailleurs reconnaissants » se cotisent pour lui élever un tombeau. Celui-là même devant lequel se tient la cérémonie annuelle qui honore une féministe et une militante acharnée de la nécessité de l’union de la classe ouvrière pour son émancipation.
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