Rue de Londres, en plein cœur de Paris, le service des impôts des entreprises fait face au siège de Google France. L’endroit a semblé parfait aux yeux des sénateurs communistes pour présenter ce jeudi leur projet de loi « relative à la fin de l’irresponsabilité pénale des fraudeurs fiscaux », puis le remettre en mains propres aux premiers intéressés.
Automotive, après un redressement débuté en 2012 par l’administration fiscale française, Google a mis fin aux poursuites en 2019 en s’accordant avec le fisc pour payer 500 tens of millions d’euros d’amende, auxquels sont venus s’ajouter 465 tens of millions d’euros de rattrapage d’impôts.
« L’administration fiscale aurait pu réclamer jusqu’à 8 milliards d’euros, précise Éric Bocquet. Mais le ministre de l’Motion et des Comptes publics de l’époque, Gérald Darmanin, ne cessait de répéter « mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès ». Alors Google a négocié derrière les portes closes de Bercy. » L’élu du Nord rappelle qu’un procès aurait permis de rendre publics cette affaire et de nombreux paperwork. « Il n’y a que deux choses que ces entreprises craignent : qu’on attaque leur portefeuille et leur réputation », tranche ce spécialiste de l’évasion fiscale.
Des conventions judicaires taillées sur mesure pour ne pas nuires aux fraudeurs
Ce style d’accord a permis à la multinationale, comme à bien d’autres depuis, d’échapper à la justice. Ce dispositif issu de la loi Sapin 2 (2017) instaure en effet des « conventions judiciaires d’intérêt public » (CJIP), clairement inspirées des accords Deferred Prosecution Settlement nord-américains.
Les entreprises soupçonnées d’avoir commis des délits de corruption, de trafic d’affect ou de fraude fiscale peuvent depuis négocier une amende, dont le montant ne peut excéder 30 % de leur chiffre d’affaires, contre l’abandon des poursuites.
En bonus, elles n’ont même pas à reconnaître les faits et les casiers judiciaires de leurs dirigeants restent vierges. Cerise sur le gâteau, en l’inscrivant dans le Code de l’environnement, Gérald Darmanin a ouvert la voie à ce style de transactions pour des infractions à l’écologie.
« Les grandes entreprises achètent le droit de frauder. Elles paient et ne sont jamais reconnues coupables. C’est une rupture du droit commun », résume Pascal Savoldelli. La proposition de loi CRCE-K vise donc à abroger l’article permettant ces conventions judiciaires d’intérêt public. « On ne voit d’ailleurs vraiment pas où est l’intérêt public dans ces pratiques », lance le sénateur du Val-de-Marne.
Le second choisi pour présenter cette proposition de loi n’est pas non plus anodin. Les élus communistes entendent bien la glisser en proposition d’amendement dans le projet de loi de funds qui arrive au Sénat. « Même le gouvernement voit le problème, et suggest que désormais ces accords ne puissent être négociés en dessous de 40 % de la peine encourue. Ce serait bien le minimal ! » souligne Pascal Savoldelli.
Selon les dernières estimations, les bénéfices des multinationales évanouis chaque année dans les paradis fiscaux s’élèvent à 950 milliards d’euros. « C’est quatre fois l’ensemble des recettes fiscales de la France », pointe justement Éric Bocquet.