Un coup de force et puis s’en va ? L’avenir de Michel Barnier, nommé premier ministre par Emmanuel Macron le 5 septembre, s’écrit ce lundi 2 décembre à l’Assemblée nationale. À 15 heures précises, l’ancien commissaire européen de 73 ans montera à la tribune pour annoncer, vraisemblablement, tel qu’il l’évoque ces jours-ci, qu’il recourt à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Face à cette volonté de contourner le Parlement, véritable marque de fabrique du pouvoir macroniste, la gauche a d’ores et déjà fait savoir qu’elle déposera dans la foulée une motion de censure pour renverser le gouvernement, révoltée par ce texte de « régression sur la politique de santé » dénoncé par André Chassaigne, député communiste et président du groupe GDR, comme par le déni de démocratie de Michel Barnier.
Discutée et votée dès ce mercredi 4 décembre, la motion de censure pourrait clore son expérience à Matignon si le Rassemblement national (RN) mêle ses voix à celles du Nouveau Front populaire (NFP), comme Marine Le Pen menace de le faire depuis plusieurs jours. « Cette motion de censure est indispensable ! » tonne Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris et corapporteuse du PLFSS.
Un travail de « compromis » gâché
La colère de la gauche est d’autant plus forte que ses députés ont joué le jeu parlementaire, avec l’ensemble des forces de l’arc républicain, pour qu’un « texte de compromis à la hauteur des enjeux » puisse voir le jour, assure la parlementaire. Et ce dans la lignée de la déclaration de politique générale de Michel Barnier du 1er octobre appelant les parlementaires à leur sens des « responsabilités » et du « compromis » : « On ne se compromet pas quand on fait un compromis, surtout s’il est dynamique. »
La bonne volonté du NFP pour un PLFSS de compromis a, dans un premier temps, donné des résultats. Au gré des travaux de la commission des Affaires sociales, puis de celle des Finances, et enfin l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée nationale, la gauche pouvait se targuer d’être parvenue à faire adopter 20 milliards de recettes supplémentaires par des taxes sur les boissons sucrées, le tabac, l’alcool, les jeux d’argent, mais aussi et surtout sur les plus-values sur la vente d’actions, l’augmentation de la CSG sur les revenus du capital, les profits de l’industrie pharmaceutique et les dividendes, entre autres.
« Nous avons très bien travaillé, j’ai trouvé des gens intelligents qui ont su s’impliquer », concède Yannick Neuder, député LR de l’Isère et rapporteur général du PLFSS. Ce proche de Laurent Wauquiez avoue même avoir parfois eu plus de facilité pour avancer avec Sandrine Rousseau et Louis Boyard (FI), ses corapporteurs, qu’avec certains macronistes « qui ne font pas le deuil de leur ancienne majorité absolue alors qu’ils dévalent les marches du pouvoir une à une ». « En commission, avec la gauche, nous avons eu bien des accords, indique-t-il. Comme sur la volonté de protéger notre souveraineté sanitaire en renforçant le Code monétaire et financier pour permettre de bloquer la vente d’une filiale, pour éviter de perdre des pans stratégiques, comme Doliprane par exemple. »
Des avancées réduites à peau de chagrin par le Sénat et sa majorité de droite, qui a réécrit le texte pour le rapprocher des intentions initiales du gouvernement, puis par la commission mixte paritaire (CMP), composée en grande partie de parlementaires du « socle commun ». Seul un compromis sur les retraites a été trouvé pour les indexer sur la moitié de l’inflation dès le 1er janvier (+ 0,8 %), avec un complément dès le 1er juillet pour les retraités sous la barre des 1 500 euros brut.
Une taxe sur les sodas a été conservée, portée par la droite et la gauche. La proposition sénatoriale prévoyant sept heures de travail sans rémunération pour les actifs pour rapporter 2,5 milliards, selon LR et Renaissance, a, quant à elle, été supprimée. Un soulagement qui ne suffit cependant pas à la gauche, qui déplore que la baisse des exonérations de cotisations patronales, initialement fixée par le gouvernement à 4 milliards d’efforts pour les entreprises, ait été ramenée à 1,6 milliard sous la pression du groupe EPR, présidé par Gabriel Attal. Le compromis proposé par le NFP, à 3 milliards, a été ignoré.
Une censure inévitable pour la gauche
« La version finale du texte était écrite d’avance, déplore également Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados et membre de la commission des Affaires sociales. Plutôt que de chercher à s’élargir, le camp présidentiel n’a voulu négocier qu’avec lui-même. Le programme du socle commun, ce n’est pas la démocratie, c’est : le macronisme, que le macronisme ! »
Reçu par Michel Barnier la semaine dernière, celui-ci a tenté de soumettre au premier ministre des pistes de compromis inspirées des travaux de toute la gauche : maintien de l’indexation de toutes les pensions de retraite sur l’inflation, augmentation du budget de l’hôpital public, suppression de la baisse des taux de remboursement des consultations médicales et des médicaments, assujettissement aux cotisations sociales des compléments de salaire (participation, intéressement, dividendes) pour les 20 % des ménages les plus aisés, etc.
Ces mesures entendaient préserver un niveau de dépenses de la Sécurité sociale pour un montant de 8,06 milliards d’euros tout en prévoyant de nouvelles recettes, « pour un montant minimal de 8,14 milliards d’euros par rapport au projet initial », précise le socialiste. En vain.
« J’ai bien senti qu’il nous recevait uniquement par politesse, confie-t-il. Il nous a dit avoir vu nos amendements et qu’il en trouvait certains intéressants. Avant d’ajouter qu’il fallait que nous le comprenions, qu’il n’avait aucune marge de manœuvre parce que son socle était décidé à ne céder sur rien. » Une situation qui, de l’avis de tous les groupes du NFP, rend la censure inévitable.
« Il y aura une motion de censure et nous la voterons », fait savoir André Chassaigne. Même son de cloche à la France insoumise par la voix de Mathilde Panot, cheffe du groupe : « C’est une violence démocratique que nous ne pouvons pas accepter. Ce sera une motion de censure qui sera déposée par l’ensemble du Nouveau Front populaire et chaque député prendra ses responsabilités. Nous avons un premier ministre en sursis. »
Le chantage du RN
Pour que Michel Barnier et son gouvernement soient renversés, le vote de la motion de censure déposée par la gauche par une majorité de députés est nécessaire. La position des forces du « socle commun » (EPR, Modem, Horizons, DR) est connue ; elles tenteront de sauver tant bien que mal le soldat Barnier. Reste à déterminer ce que feront les 124 députés apparentés RN et leurs 16 alliés ciottistes.
Ces derniers jours, Marine Le Pen a largement fait part de ses intentions de voter la censure si certaines de ses exigences n’étaient pas contentées. Jusqu’à pousser Michel Barnier, jeudi 28 novembre, à une série de concessions pour la convaincre de retenir ses troupes et sauver ainsi sa peau. Parmi elles, la suspension de la hausse envisagée sur le prix de l’électricité ou d’autres répondant aux obsessions du RN, telles que la réduction du panier de soins pris en charge par l’aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers et l’annonce d’une réforme à venir pour « éviter les abus et les détournements ».
Suffisant pour éviter la censure ? « M. Barnier a annoncé une baisse de l’AME de 100 millions sur 1,2 milliard d’euros. Est-ce bien sérieux ? » a fait mine de s’interroger, ce dimanche, dans les colonnes de la Tribune, l’ancienne candidate frontiste à l’élection présidentielle pour mettre davantage de pression sur le chef du gouvernement. Et de poursuivre : « La censure n’est pas inéluctable. Il suffit que M. Barnier accepte de négocier. Il est issu d’une famille politique qui a 47 députés. Normalement, cela devrait pousser à la discussion ! Il ne souhaite pas le faire, c’est lui qui prend la décision du déclenchement de la censure. » Une façon de lui rappeler une règle simple. S’il veut rester en place, il lui faut obéir à son maître : l’extrême droite. Et ne surtout pas lui mordre la main.
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