N’était-ce que pour éteindre le feu de paille allumé par des milliers d’agriculteurs en colère qu’Emmanuel Macron avait fait de telles promesses ? Il y a un an, au Salon de l’agriculture 2024, le président de la République, secoué par des paysans en mal de réponses face à leurs souffrances, avait assuré vouloir « déboucher » sur des « prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole ».
Alors que s’achève dimanche 2 mars l’édition 2025 de la grande foire du monde rural, ces déclarations passées laissent un goût amer aux paysans. Les gouvernements de Macron ont bel et bien légiféré sur le monde agricole, mais ont préféré sapé les normes environnementales. La revalorisation de leurs revenus, elle, n’est restée qu’un vœu pieux.
Pourtant, si la colère est redescendue, plus d’un an après que les premiers panneaux ont été retournés à l’entrée des villages, les paysans peinent toujours à vivre dignement de leur métier. Selon l’Insee, les agriculteurs sont en moyenne plus pauvres que le reste de la population. Dans une note publiée en décembre 2024, l’Institut observait que « le taux de pauvreté des personnes vivant dans un ménage agricole atteint 16,2 %, contre 14,4 % pour l’ensemble de la population ».
Dans un article de février 2024, INRAE pointait de plus que les 20 % des exploitations aux résultats économiques les plus faibles dégageaient un revenu net annuel inférieur à 6 100 euros par équivalent temps plein non salarié, entre 2010 et 2022.
500 euros pour 70 heures de travail hebdomadaires
Une situation dramatique qu’Anthony Le Bouteiller a bien connue. « Avant que je ne passe à un système non-conventionnel, je ne gagnais que 500 euros par mois pour 70 heures de travail hebdomadaires », avoue l’éleveur de vaches laitières dans la Manche.
Trop de travail pour profiter de la vie en dehors de la ferme, mais pas assez de revenus pour employer un salarié sur son exploitation. Depuis, le producteur laitier a remis à plat l’organisation de son travail. Loin d’être une panacée pour son compte en banque, cela lui a au moins permis d’abaisser son temps de travail à environ 55 heures par semaine.
Si lors des élections aux chambres d’agriculture de janvier dernier, les revendications des syndicats majoritaires, FNSEA et Jeunes Agriculteurs, ainsi que celles de la Coordination rurale, ont mis l’emphase sur la simplification des normes et l’élagage des contrôles, toutes les organisations n’ont pas abandonné la question du revenu. Modef et Confédération paysanne, en porte-à-faux avec le modèle productiviste et intensif défendu par le gouvernement, revendiquent l’application de mesures pour sauver les producteurs de la pauvreté généralisée.
Parmi celles-ci, l’instauration de prix plancher, ou prix minimum garantis. « Aujourd’hui, une grande partie des agriculteurs travaillent à perte. Certains touchent certes les aides de la politique agricole commune, mais aucune subvention publique ne peut compenser des prix défaillants », scande Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysanne.
Le Modef, de son côté, attend de l’État qu’il mette en place un prix de référence pour chaque produit qui engloberait les coûts de production, ainsi qu’un coefficient multiplicateur, permettant ne pas dépasser un certain taux à ne pas dépasser entre le prix d’achat aux producteurs et le prix de vente aux consommateurs.
L’instauration de prix minimums, c’est-à-dire des prix fixés par produits, sous lesquels ils seraient interdits d’importer depuis l’étranger ou d’acheter pour les transformateurs, est d’autant plus indispensable que nombre de productions nationales sont concurrencées par des denrées étrangères moins chères, importées notamment grâce à des accords de libre-échange signés entre l’Union Européenne et des pays tiers. C’est notamment pour cette raison que la signature de l’accord commercial entre les 27 et les pays du Mercosur avait déclenché de vives colères parmi les paysans.
« Ce matin, les tomates espagnoles étaient vendues 1,50 euro du kilo alors que les tomates françaises étaient vendues 2,60 euros. La moitié de nos fruits et légumes sont importés, instaurer des prix plancher serait aussi une mesure protectionniste qui nous permettrait de garantir notre souveraineté alimentaire », illustre Jonathan Chabert, maraîcher en agriculture biologique dans les Côtes-d’Armor.
Le leurre des lois Egalim
Si les syndicats majoritaires ne sont pas tout à fait silencieux sur la question des revenus agricoles, ces derniers privilégient une tout autre méthode : les lois Egalim. La quatrième mouture du dispositif est dans les tuyaux et se donne pour objectif, comme les trois premières, d’encadrer les négociations commerciales entre les producteurs agricoles, l’agro-industrie et les distributeurs en protégeant les revenus des agriculteurs.
« Les lois Egalim ne sont pas parfaites mais elles ont du positif, notamment parce qu’elles prennent en compte les coûts de production des agriculteurs et qu’elles leur donnent de la visibilité par la contractualisation », estime ainsi Pol Devillers, vice-président des Jeunes Agriculteurs.
Pour la Confédération Paysanne, toutefois, l’efficacité de tels dispositifs pour garantir aux paysans un revenu digne est un leurre. « Les lois Egalim reposent sur le volontariat des filières, et ne concernent donc aujourd’hui que le lait et une petite partie de la viande. Les lois ne peuvent fonctionner que si elles sont contraignantes et qu’elles sanctuarisent la matière première agricole », préconise Laurence Marandola.
Exclue de ces cadres de contractualisation, les maraîchers en payent le prix fort, assure Jonathan Chabert. « Les pommes de terre sont achetées à 15 centimes du kilo aux producteurs, et on les retrouve à 1,15 euro sur les étals de la grande distribution », détaille le paysan.
Interrogé au sujet des prix planchers lors de l’inauguration du salon après douze mois de silence, Emmanuel Macron a assuré le 22 février que la question serait étudiée prochainement par le gouvernement. Si les organisations syndicales n’osent trop y croire, la mesure permettrait à tous les agriculteurs de pouvoir financer leur sécurité sociale, leurs coûts de production et un SMIC, dans la pire des situations, rappelle la Confédération paysanne.
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