Pluvieux et venteux sur une grande partie du pays, ce 1er Mai 2024 avait besoin de courageux pour battre le pavé. Il y en a eu. Pas assez pour changer le cours des choses, mais pas ridicule non plus. Depuis cent trente-quatre ans, chaque année a vu varier la taille des manifestations du 1er Mai. Celles dont on se souvient ou que l’on cite le plus souvent correspondent à des circonstances sociales ou politiques exceptionnelles. Mais les plus nombreuses sont les autres, celles qui, sans bouleverser la donne, ont permis de maintenir la pression sociale. Ce 1er Mai 2024 ne fait pas exception : inférieur à celui de 2023, au cœur de la forte mobilisation contre la réforme des retraites, il retrouve la jauge moyenne de ces dix ou quinze dernières années. La CFDT était présente dans plusieurs départements, moins que l’an dernier où son appel était national, mais plus que toutes les années précédentes. Des jeunes étaient là aussi dans et hors des cortèges proprement syndicaux. Enfin, la tradition internationaliste du 1er Mai s’est trouvée renforcée par l’exigence de paix partout dans le monde, et notamment à Gaza et en Ukraine.
La spécificité du millésime 2024 est à rechercher dans le climat ambiant fait de montée des idées d’extrême droite et de répressions et d’intimidations vis-à-vis de toutes les prises de position différentes de l’idéologie dominante. La confusion idéologique est partout. Une forme de découragement gagne une partie des forces de progrès, d’autant qu’elles sont divisées. Le 1er Mai est depuis de nombreuses années l’objet d’une âpre bataille symbolique. Si Marine Le Pen a modifié le protocole instauré par son père, elle n’en a pas moins gardé l’esprit : c’est le jour qu’elle a choisi pour présenter à ses militants et à la presse, en grande pompe, la liste du RN aux européennes. Dans le même temps, Marion Maréchal rendait hommage à Jeanne d’Arc. Bien sûr, entre les cortèges syndicaux et les troupes d’extrême droite, il n’y a pas photo quant au nombre de personnes mobilisées. Mais les temps d’antenne, eux, leur sont inversement proportionnels. L’enjeu est celui d’une espèce d’hégémonie culturelle sur les classes laborieuses : solidarité internationaliste et de classes d’un côté, haine et rejet de l’autre.
Le RN surfe sur les mécontentements générés par la politique de Macron et consorts. Il ne veut pas y apporter de remède, il veut arriver au pouvoir. La politique qu’il mènerait ensuite ne serait pas plus favorable aux salariés. Son projet n’est ni de s’attaquer au libéralisme ni de promouvoir une réelle justice sociale. Il est d’attiser des tensions et des haines entre les différentes composantes de la population afin d’asseoir un pouvoir plus qu’autoritaire. Or, les luttes sociales peuvent déjouer le piège. Elles rassemblent sur des revendications des personnes de toutes origines, elles créent de la solidarité et du collectif, elles font reculer les ressentiments au profit de l’engagement. Enfin, en éveillant les consciences, elles poussent à des positionnements clairs, elles font tomber les masques. Non, la situation n’est pas pliée. La détermination des manifestantes et manifestants du 1er Mai est un point d’appui, parmi d’autres, pour poursuivre le combat et ouvrir d’autres perspectives. Comme un clin d’œil, « la Liberté guidant le peuple », célèbre tableau de Delacroix, vient, après restauration, de retrouver, ce 1er mai, sa place au Louvre. Elle nous montre la voie.