« Oh oui vas-y prends ton temps pour que j’admire ton cul ! », s’exclame un magistrat alors qu’une femme se baisse pour ramasser un objet. Un autre a demandé à une collègue la couleur de ses sous-vêtements, et lui dit faire des rêves d’elle nue…
Un juge interpelle une collaboratrice plus jeune que lui, ayant obtenu un poste intéressant au sein de la juridiction : « Alors, elle était bonne la pipe que tu as faite au Président ? ». « Tu ne te rends pas compte, tout le tribunal a envie de te violer » ou « Votre robe ça fait sado-maso », ont pu entendre d’autres femmes de la bouche de magistrats avec lesquels elles travaillent au quotidien…
Ces exemples montrent l’ambiance sexiste et le harcèlement qui règnent au sein de l’institution judiciaire. Ils sont rapportés dans une étude du Syndicat de la Magistrature (SM) parue le 5 décembre.
Des agresseurs masculins avec un ascendant hiérarchique sur leurs victimes
Pour tenter d’objectiver le phénomène, le syndicat a envoyé à l’ensemble des juges et parquetier·ères de France un questionnaire de victimisation sur le sujet, auquel il était possible de répondre de manière anonyme.
Une nécessaire introspection pour Nelly Bertrand, secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature : « Au moment où la déferlante #MeToo et le procès des viols de Mazan font prendre conscience à l’ensemble de la société l’ampleur des atteintes sexistes et sexuelles et où les attentes envers la justice sont fortes, nous nous sommes interrogés : est-ce qu’en son sein, la justice est à la hauteur ? »
Difficile de répondre par l’affirmative quand on constate que sur les 525 réponses collectées, on dénombre 63 faits dénoncés par des personnes se déclarant victimes (des femmes pour 82,5 %), et 96 par des témoins. Pour 9 victimes et 12 témoins, il s’agit de viols ou d’agressions sexuelles, commis quasi exclusivement par des hommes, ayant dans 70 % des cas un ascendant hiérarchique ou d’autorité sur les victimes.
Le témoignage d’une juge l’illustre bien : « Le collègue s’est brusquement jeté sur moi pour m’embrasser et me toucher. Je venais de prendre mon premier poste et il était chargé de me former. Les faits se sont déroulés dans mon bureau, au tribunal. »
Le règne de l’impunité
Outre les agressions, la grande majorité des faits évoqués sont des comportements ou propos sexistes, parfois homophobes ou transphobes. L’une des 224 magistrat·es qui se sont déclaré·es témoins et/ou victimes, dans l’institution judiciaire, de propos ou comportements sexistes ou discriminatoires liés à l’orientation sexuelle rapporte cette remarque d’un magistrat, à propos du nombre supposément important d’homosexuel.les dans les promotions de l’École nationale de la magistrature (ENM) : « toi aussi ta promo est marquée par ce fléau ? ».
Il est également fait état de l’utilisation du terme « le dilaté » pour désigner un collègue homosexuel, de celui de « camionneuses » pour parler de personnes lesbiennes, ou encore de phrases du type « elle est gouine, mais elle est compétente quand même ».
Les personnes qui ont rapporté des situations d’agression ou de harcèlement sexuel ont, pour beaucoup, renoncé à les dénoncer. Et pour cause : il semble que le rapport de force ne soit pas à la faveur des victimes quand plusieurs personnes dénoncent des représailles exercées par un magistrat à l’encontre d’une personne l’ayant éconduit.
Très peu de victimes doivent la fin de leur calvaire à une action de la hiérarchie (changement de lieu de stage de la victime ou recadrage de l’auteur des VSS par le procureur de la République). Au contraire, dans 17 situations recensées, les VSS ont cessé du fait de la mutation de l’auteur, de son départ à la retraite, de la fin du stage juridictionnel, ou encore du déménagement de la victime.
Une juge des affaires familiales qui refuse de traiter les dossiers de couples homosexuels
Cette ambiance et cette impunité, au sein même d’une institution ayant vocation à juger les crimes et les délits sexuels, font froid dans le dos. En cas de viol, quel jugement peut rendre un magistrat qui déclare devant ses collègues : « Une femme ça dit toujours un peu non avant de dire oui. Si j’avais dû attendre qu’une femme soit d’accord pour l’emballer… » ?
De fait, la note du Syndicat de la Magistrature fait état de propos sexistes tenus publiquement lors des audiences. « 42,6 % des répondants au questionnaire ont fait état de propos sexistes de professionnels à l’encontre des justiciables », pointe le SM. Un témoignage fait état d’une juge aux affaires familiales refusant de traiter des dossiers de couples homosexuels.
Une substitute générale s’est autorisé cette remarque, « Il ne s’agit évidemment pas de porter une appréciation sur votre orientation sexuelle, mais… », lors de réquisitions à l’audience correctionnelle.
Renforcer la formation dès l’école de la magistrature
Coté sexisme, certains magistrats se lâchent à l’audience avec des propos tels que « vu son comportement, je lui aurais moi-même déjà mis un coup de boule » ou « en même temps les femmes aiment bien ça parfois », à propos d’une femme victime de violences conjugales.
Face à cette situation, le SM propose de renforcer la formation à la lutte contre les VSS dès l’école de la magistrature et insiste aussi sur la nécessité de former les magistrats en poste. Il enjoint les chefs de cours et de tribunaux à mener des politiques volontaristes au sein de leurs juridictions pour prévenir les VSS.
Pour y faire face, des « référent·es dédié·es » pourraient être désignés au sein des juridictions, des procédures de signalement instaurées, puis des mesures de protection financière, organisationnelle ou psychologique devraient être proposées aux plaignantes.
« Nous avons envoyé notre note au Ministère de la justice, et attendons des réponses sur ce sujet », indique Nelly Bertrand. Reste à savoir si le prochain Garde des Sceaux se montrera plus déterminé que ses prédécesseurs dans la lutte contre les atteintes sexistes et sexuelles.
Le journal des intelligences libres
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.120 ans plus tard, il n’a pas changé. Grâce à vous. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !