Salle comble ce jeudi 3 avril, au tribunal correctionnel de Bobigny pour le « procès de la BRAV M », particulièrement suivi. Dans une ambiance tendue, se serrent sur les bancs de la salle d’audience publique, proches des victimes, journalistes et plusieurs soutiens des policiers incriminés, venus manifester silencieusement leur solidarité envers les collègues. Deux policiers de la BRAV-M comparaissent pour des violences et menaces à l’encontre de deux jeunes interpellés en mars 2023, en marge des manifestations contre la réforme des retraites, et huit autres, pour complicité puisqu’ils ont assisté à la scène sans intervenir.
C’est le parquet qui avait renvoyé Pierre L. et Thomas C., devant la justice pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » et « menaces réitérées » contre un jeune étudiant tchadien, tandis que les huit autres fonctionnaires de police, dont sept étaient présents à l’audience, seront jugés à la suite d’une citation directe (une procédure qui permet à un plaignant de saisir directement un tribunal, sans passer par le parquet) déposée par Adoum Souleyman, l’étudiant agressé et molesté, et une autre jeune femme arrêtée en même temps que lui, à grand renfort d’insultes dont elle dénonce le caractère antisémite.
Des motifs d’intervention opaques
Les faits remontent à la nuit du 20 au 21 mars 2023. Ce soir-là, alors que l’unité de la Brave M intervient pour « disperser un cortège sauvage », sept jeunes sont interpellés dans une rue du centre de Paris, près de la place de la Bastille. Parmi eux, Adoum Souleyman, un étudiant de 23 ans. Durant l’audience, Arié Alimi, avocat des parties civiles, interroge les conditions de l’intervention de la BRAV-M ce soir-là.
À la barre, les deux policiers évoquent un ordre donné par un capitaine depuis la salle de supervision vidéo. Ils affirment avoir été envoyés pour interpeller des individus soupçonnés d’avoir incendié une poubelle. Mais l’avocat souligne des incohérences : où sont les preuves ? Où sont les images de la préfecture de police ? Aucune trace de ces éléments dans le dossier d’instruction. D’ailleurs, les personnes arrêtées ont été relâchées sans poursuite à l’issue leur garde à vue, mais plusieurs d’entre elles dénoncent une interpellation violente.
Un enregistrement accablant
Principal élément à charge contre les policiers, un enregistrement accablant de 23 minutes, capté par l’un des interpellés au moment des faits a été diffusé intégralement durant l’audience. Durant ces longues minutes, on y entend le jeune étudiant subir moqueries et menaces à peine voilées de la part de plusieurs agents. « Tu la fermes ou t’en veux une autre », « C’est celui qui bande en premier qui encule l’autre », « Toi, je t’aurais bien pété les jambes (…) La prochaine fois qu’on vient, tu ne monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller à l’hôpital », entend-on de la part notamment des deux agents de police.
Appelé ensuite à la barre, Adoum Souleyman témoigne d’une voix calme et posée, les mains parfois jointes sur le pupitre. Il semble concentré, déterminé à livrer sa version, bien que visiblement impressionné par la solennité de la salle. Il raconte être tombé sur les policiers par hasard, alors qu’il cherchait un restaurant. « J’étais dans la rue quand un policier m’a mis au sol d’une balayette, sans un mot », explique-t-il. Alors qu’il est encore au sol, un agent lui touche fermement les parties génitales en lui lançant : « Tu n’as pas de couilles, toi. » Pour ce geste, le jeune étudiant accuse le policier d’agression sexuelle, et ses collègues de l’avoir « laissé faire ».
Le jeune homme est ensuite conduit dans une rue voisine et assis dos au mur, aligné avec six autres jeunes. « Efface ton sourire », lui intime à plusieurs reprises un agent cagoulé, avant de le gifler une première fois, puis une seconde. Des propos humiliants qui, selon le jeune homme, visaient à lui faire peur. « Je n’ai toujours pas compris pourquoi quatre policiers étaient devant moi », lâche-t-il en conclusion d’un récit ponctué de lourds silences. Dans la salle, l’ambiance est aussi très pesante.
Les policiers mis face à leur comportement
Face au tribunal, Pierre L. et Thomas C., les deux premiers agents appelés à la barre, reconnaissent les faits. Pierre L. parle d’une « erreur », admet la gifle mais minimise : « Ma main a heurté son visage ». Le président le reprend, ne masquant pas son agacement : « Dans l’enregistrement, à aucun moment M. Souleyman ne manque de respect. (…) Votre phrase aujourd’hui, c’est ”ma main a heurté son visage”. Non, vous l’avez giflé ». Thomas C., lui, justifie la phrase sur l’ambulance, par la volonté de « garder l’ascendant ». Il parle d’un « effet tunnel », d’un moment où « tout le monde a dérapé ». Le ton des deux hommes est hésitant, parfois fuyant.
L’avocate de la Ligue des droits de l’Homme, Maître Chloé Saynac, interpelle les prévenus : « Un sourire, c’est un outrage ? ». Visiblement mal à l’aise, les policiers répondent par la négative. L’avocat de SOS Racisme, également partie civile, souligne qu’Adoum Souleyman était le seul racisé parmi les personnes interpellées en même temps, pointant un possible ciblage discriminatoire.
Alors qu’en plusieurs accusés et la seconde plaignante n’avaient pas encore été entendus, en début de soirée, après une longue journée d’audience, le tribunal a choisi de reporter l’audition des policiers cités à comparaître. L’audience reprendra le 12 juin. Le délibéré est attendu pour le 7 juillet. Ces dix policiers, toujours en fonction, encourent des peines allant jusqu’à 7 ans de prison ferme.
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