Économie souterraine, économie parallèle, économie de l’ombre, secteur informel autant de mots pour qualifier une même réalité : le travail dissimulé. Il progresse et englobe des situations diverses. Florence Weber, professeure de sociologie et d’anthropologie sociale à l’École normale supérieure nous éclaire sur les raisons de ce phénomène.
Qui sont ces travailleurs informels ?
Le travail dissimulé est très hétérogène et englobe diverses activités non déclarées, qu’elles relèvent du salariat ou du travail indépendant. Ces situations présentent des problématiques distinctes. Dans le cas du travail salarié, les enjeux se situent principalement du côté du patronat et des travailleurs sans papiers, qui préfèrent ne pas être déclarés, ou n’ont pas d’autres choix que de ne pas se déclarer. Ces travailleurs sont souvent des migrants, parfois exploités par d’autres migrants, comme dans l’industrie textile. Certains secteurs fonctionnent sur le principe de la communauté, reposant sur la confiance, le partage de la langue, etc., ce qui peut entraîner des formes d’exploitation sévères. Une asymétrie inégale entre l’employeur et l’employé.
Pour les travailleurs, cela entraîne l’absence de droits sociaux et de régimes de retraite. En revanche, pour le travail indépendant, les enjeux varient. Le travailleur indépendant peut être incité à ne pas déclarer ses revenus afin d’éviter de payer ses impôts. Il peut également exister un accord entre le travailleur indépendant et le client pour éviter le paiement de la TVA, ou il peut s’agir d’activités complémentaires qui constituent un complément de revenus non essentiel pour la personne. Les travailleurs salariés qui exercent une activité non déclarée représentent environ trois quarts du total des travailleurs informels, tandis qu’un quart des personnes concernées sont des indépendants.
Quels sont les secteurs les plus concernés ?
Depuis la crise de la pandémie Covid, le BTP, traditionnellement une branche majeure du secteur informel, représente plus de 65 % des infractions constatées par l’URSSAF. Historiquement, les secteurs hôtels café restaurants étaient également importants, bien que son importance ait légèrement diminué. Cela est lié aux contrôles, à la baisse de la consommation due au Covid, et à un possible report des activités vers des acteurs informels à domicile. Les activités à domicile sont plus difficiles à surveiller. L’aide à domicile, incluant la garde d’enfants et les soins aux personnes âgées, est fortement concernée par le travail informel, malgré les mesures incitatives mises en place par les gouvernements successifs. On observe également un développement de l’économie informelle sur les plateformes numériques, ou dans les services entre particuliers. Une portion des salariés informels non déclarés est constituée de personnes n’ayant pas de papiers, ou dans des secteurs où les employeurs préfèrent avoir des employés sans payer les charges.
Quelles sont les conséquences pour ces travailleurs ?
Pour les individus qui s’engagent dans le secteur informel, si leur statut principal est celui de salarié, alors ils bénéficient de la protection sociale liée à leur activité salariée. Ainsi, leur activité informelle a généralement des conséquences limitées, constituant plutôt un complément de revenus. Cependant, dès qu’ils se trouvent dans des situations plus difficiles, telles que le chômage ou le RSA, la multiplication des contrôles et des réglementations incite à éviter les déclarations supplémentaires. Pour ces personnes, dépourvues de toute protection, la situation est dramatique : pas d’Assurance maladie, pas de retraite, et absence de droits sociaux. Cela conduit à des situations dramatiques depuis longtemps.
La fraude fiscale et sociale est estimée à 120 milliards, dont un cinquième est lié au travail au noir. Il s’agit de pertes considérables de revenu pour l’État en matière de protection sociale ?
J’ai toujours des doutes concernant les conséquences sur l’économie. On m’explique que cela entraîne des pertes pour l’État en matière de protection sociale, mais en réalité, il existe de nombreux dispositifs visant à libérer les employeurs des cotisations patronales. Pendant les périodes où l’on a largement allégé les cotisations sociales pour les employeurs, je ne comprends pas bien en quoi cela diffère du travail dissimulé, étant donné que le patronat ne paie pas les cotisations sociales.