Le désistement de Deliveroo, in extremis avant ce procès en appel, n’a finalement pas vidé de sa substance ce deuxième round judiciaire. La plateforme de livraison de repas a certes été de fait, avant les audiences, définitivement condamnée à verser plus de 375 000 euros d’amende, le maximum prévu par la loi, pour « travail dissimulé », et près de 10 millions d’euros d’arriérés de cotisations et d’indemnités pour les livreurs qui se sont portés partie civile. Mais la comparution de ses anciens dirigeants a permis aux avocats des coursiers lésés de pousser leur avantage, en envisageant dès à présent de nouvelles procédures.
Au terme du procès en appel, les deux anciens dirigeants de Deliveroo France et le directeur des opérations de la société, connaissent les peines requises contre eux. Contre le premier PDG de l’entreprise, le procureur réclame un an de prison avec sursis, 30 000 euros d’amende et 5 ans d’interdiction de diriger une société, assortis d’un sursis. Un réquisitoire allégé contre son successeur : neuf mois de prison avec sursis, une amende de 20 000 euros et 5 ans sans pouvoir être à la tête d’une entreprise. Contre le directeur des opérations, l’avocat général requiert 4 mois de prison avec sursis et une amende de 10 000 euros.
Des peines similaires à celles décidées en première instance, avec un aménagement pour Hugues Decosse (en poste de juin 2016 à octobre 2018), jugé moins important dans la hiérarchie que son prédécesseur. Les trois hommes à la tête de Deliveroo France ont été condamnés en première instance pour « travail dissimulé » et « complicité de travail dissimulé », après avoir recruté des coursiers dans l’entreprise comme « auto-entrepreneurs » tout en étant extrêmement regardants sur la performance quotidienne des livreurs.
« Une petite victoire » qui n’est « qu’un début »
Devant la présidente du Tribunal et ses conseillères, les différentes parties ont exposé leurs arguments durant cinq jours d’audience. Maître Kevin Mention, avocat spécialisé en droit du travail et droit social qui défend plus de cent coursiers dans ce procès, voit cette procédure comme « une petite victoire » qui n’est « qu’un début ». Si ce procès couvre seulement la période 2015-2017, il faut s’attendre à de nouvelles poursuites. « Entre 2018 et 2020, on a des centaines de coursiers qui sont prêts à faire des déclarations sur leur travail dissimulé », explique Me Mention, pour qui cette libération de la parole est une première étape.
L’avocat a annoncé une nouvelle plainte « au début du mois de juillet » pour travail dissimulé et travail illégal contre Deliveroo sur la période couvrant 2018 à 2024. Comme l’explique l’avocat, « de plus en plus de livreurs ont été recrutés depuis la période des faits. Et beaucoup de ceux qui sont prêts à dénoncer l’entreprise sont sans-papiers, ce qui fait qu’en plus du travail dissimulé, c’est de l’emploi illégal ». Le mandat des déclarations, mis en place aux côtés des syndicats Clap, Sud et la CNT, regroupe « une centaine de livreurs prêts à témoigner, et n’importe quel coursier qui a travaillé sur cette période peut rejoindre », selon Kevin Mention.
Dans le viseur : le fondateur et PDG de Deliveroo Will Shu
Une nouvelle procédure qui vise à emmener devant la justice française celui que l’avocat du Syndicat National des Transports Légers (SNTL) décrit comme « le premier responsable » : le fondateur et PDG de Deliveroo Will Shu. Pour Maitre Gaftarnik : « Deliveroo est une société de livraison déguisée en startup qui fausse le marché de la livraison à domicile. » D’après Nicolas Collet-Thiry, avocat de Solidaires, « même si c’est dommage que Deliveroo soit absent des débats, on a quand même une condamnation définitive et on a pu à nouveau soulever la question sur leurs pratiques ». Même son de cloche chez Me Mention pour qui, malgré les condamnations des dirigeants et le désistement de l’entreprise de la procédure d’appel, « Deliveroo n’a pas tiré toutes les leçons » de la première instance. Un point que la présidente du jury a également soulevé, regrettant que le directeur de l’entreprise ne soit pas présent malgré le fait qu’il a été mentionné tant par la partie civile que par la défense dans cette affaire.
La ligne de la défense s’est basée justement sur l’absence des plus hautes instances de l’entreprise. Chacun à leur tour, les avocats des prévenus ont demandé la relaxe de leurs clients sur la base qu’ils étaient de « simples exécutants ». Selon eux, les anciens dirigeants ont été abandonnés par l’entreprise-mère et par leurs avocats du premier procès, le prestigieux cabinet Capstan. « Nous suivions les conseils du cabinet sur les différences entre salariés de l’entreprise et livreurs », déclare le premier patron, Adrien Falcon, par l’entremise de son avocat.
L’avocat général, tout comme les parties civiles, n’excuse cependant pas la responsabilité des prévenus. Le parquet concède qu’« ils n’ont pas créé ce système, mais qu’ils l’ont emmené en France, l’ont imprimé ». Pour la juge, les trois hommes « ne sont pas des robots » et doivent être tenus pour responsable de l’exécution de ce système derrière tant d’emplois dissimulés. Le délibéré sera rendu le 5 septembre.
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