Le 27 juillet 2003, tombe sur l’AFP une dépêche effarante : La comédienne Marie Trintignant est dans le coma à Vilnius, en Lituanie, où elle terminait avec sa mère Nadine et son fils Roman Kolinka le tournage d’une mini-série de France 2 consacrée à Colette. La dépêche ajoute que son état est consécutif à des coups portés par son compagnon d’alors, le chanteur emblématique du groupe de rock Noir Désir, Bertrand Cantat. L’actrice, transportée à Paris, décède quelques jours plus tard, le 1er août, sans avoir repris connaissance.
Au cœur de cet été caniculaire, l’histoire tragique de ces deux stars emballe la presse, qui se déploie à Vilnius. Comme on est en 2003, bien avant #MeToo, le terme de féminicide n’est pas employé. Les journaux parlent de « crime passionnel ».
Cynisme et complicité des médias
Effondrés, les proches de Marie Trintignant ne prennent pas la parole : c’est donc le récit de Bertrand Cantat qui va donner le la, pendant plus de vingt ans, malgré toutes les interrogations qu’il suscite, déjà, à l’époque des faits. La remarquable série documentaire de Netflix, en trois épisodes, remet l’histoire à l’endroit. Elle reprend le fil du récit, les preuves accablantes contre Cantat, le cynisme et la complicité de médias prompts à traîner dans la boue Marie Trintignant, parce qu’elle a eu des enfants de père différents, qu’elle était fantasque, et que lui, pauvre bichon, serait une victime autant qu’elle, dans cette triste histoire.
Alors que la réalité est toute autre, raconte ce documentaire, largement appuyé sur les recherches inlassables, depuis vingt ans, de la journaliste du Point Anne-Sophie Jahn. La série, en s’appuyant sur des faits précis, des vidéos quasi inédites, y compris des premières auditions devant la justice lituanienne, des témoignages, raconte une histoire d’emprise, une histoire de meurtre, une histoire de suicide forcé.
Une violence extrême
D’abord, ce qui est très rare, Bertrand Cantat a suivi Marie Trintignant pendant deux mois sur le tournage de Colette. Alors qu’elle travaille, il lui envoie des dizaines de SMS par jour, auxquels elle s’empresse de répondre, dans la foulée, jusqu’à cacher son téléphone dans sa bottine, racontent les témoins.
Ensuite, il y a cette robe, qu’elle refuse de mettre, au grand étonnement de sa mère, parce qu’elle a une marque au cou. Enfin, cette terrible soirée, ce SMS de Samuel Benchetrit, ex-mari de l’actrice, qui met le feu aux poudres, déclenche une crise de jalousie inouïe qui dure plusieurs heures.
Et les coups, qui suivent : « Derrière le larynx, on retrouve les ecchymoses occasionnées par quelqu’un qui chevauche, qui met éventuellement une jambe au niveau du cou de la personne qui est en dessous », indique le médecin légiste, qui poursuit : « à l’ouverture du crâne, on va voir que la violence a été extrême, les lésions sont trop nombreuses pour que ce soit une chute (…) c’est au moins une quinzaine ou une vingtaine de coups reçus qui sont extrêmement nombreux et qui n’ont pas été portés en quelques secondes, coups répétés de droite et de gauche ». Sur le corps martyrisé de la comédienne, d’autres marques encore, porté par un type imposant sur une femme qui fait la moitié de sa corpulence.
L’histoire de Kristina Rady, autre victime de Cantat
Le chanteur va ensuite la regarder agoniser pendant sept heures sans appeler les secours. Il n’écopera pourtant que de huit ans de prison, dont il n’effectuera que la moitié, en partie en France.
Le troisième épisode de la série s’intéresse à Kristina Rady, la femme de Cantat, mère de ses deux enfants, celle qu’il a quittée alors qu’elle venait d’accoucher, et qui a pris sa défense, avec les membres du groupe Noir Désir, à Vilnius, lors du procès. Kristina Rady s’est suicidée, le 10 janvier 2010, après avoir passé des mois d’enfer à côté de Cantat, lancé des messages de détresse, à son amoureux, à ses parents.
Mais elle n’a pas porté plainte, croyant ainsi protéger ses enfants. Là encore, ce que raconte le film, qui donne la parole à des témoins, Claudia sa jeune fille au pair, François son compagnon, sa mère, c’est un système de prédation, pur et simple. Kristina est retrouvée morte, pendue, par son fils. Aucune enquête n’est menée, malgré le pedigree de Cantat, et c’est même encore une fois le chanteur qui est plaint dans les journaux.
Familles brisées
La série documentaire montre aussi la déflagration dans les familles. Richard Kolinka, père de Roman, le fils aîné de Marie Trintignant, dit son désarroi et sa colère. Samuel Benchetrit, son mari avant sa rencontre fatale avec Cantat, explique, le regard lourd de désespoir, que taper, ce n’est pas de l’amour. En vain. Lio, l’amie fidèle qui fut la première à prendre la défense de Marie Trintignant, et n’a jamais lâché, intervient aussi longuement.
Depuis 22 ans, le récit de Cantat continue de s’imposer, ses défenseurs de crier au génie, à sa possibilité de se réinsérer dans la société après avoir purgé sa peine. Mais le génie, il est mort au moment de la première gifle donnée à Marie Trintignant, au premier coup qui a envoyé Kristina à l’hôpital, avec le cuir chevelu arraché.
Marie, Kristina, leurs enfants, leurs familles, leurs amis, tous ceux qui les ont aimés, eux, ont pris perpétuité. La série, exceptionnelle, rappelle que ce qui tue, au-delà des coups, c’est le silence. Le silence de celles qui ont peur, mais aussi de ceux qui voient et n’interviennent pas.
De rock star à tueur : le cas Cantat, Netflix, depuis le 27 mars.
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