L’amour ne connaît pas de frontière. C’est du moins le cas en France depuis que le Conseil constitutionnel a estimé en 2003 que la liberté du mariage est une « composante de la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Mais cela pourrait changer sous le feu d’une attaque conjointe de la droite et de l’extrême droite, qui depuis des années veulent priver de ce droit les étrangers en situation irrégulière.
Le 20 février prochain, le Sénat examinera une proposition de loi allant dans ce sens déposée par le sénateur divers droite (UDI) de la Sommes, Stéphane Demilly. Ce texte, visant à « interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire », qui avait été déposé en décembre 2023, a reçu le soutien des ministres de l’Intérieur et de la Justice, toujours en compétition, entre eux et avec Laurent Wauquiez, pour être l’homme le plus à droite de la droite.
Une proposition de loi inconstitutionnelle en débat au Sénat
« Je soutiens (ce texte, N.D.L.R.) et je pense que quand la règle est mal faite, il faut la modifier », a estimé Bruno Retailleau, rappelant que la proposition « sera soutenue par le gouvernement, par la voix du garde des Sceaux ». La veille, c’est Gérald Darmanin, qui avait pris position. « C’est une loi frappée du coin du bon sens. Ma volonté est que nous changions la loi rapidement pour qu’on ne puisse pas marier quelqu’un qui serait irrégulier sur le sol national », avait-il déclaré sur BFM.
Cette prise de position est en contradiction avec la position qu’il avait soutenu lors des débats sur la loi immigration en novembre 2023. Il avait alors refusé de soutenir un amendement sur ce thème, estimant la mesure d’interdiction du mariage pour les étrangers irréguliers non conforme à la Constitution.
L’engouement des dirigeants de droite pour la proposition de loi du sénateur de la Somme tient pour beaucoup à l’énorme coup de publicité que lui a offert sa concomitance avec la mise en cause du maire d’extrême droite de Béziers. Robert Ménard a été convoqué mardi 18 février par le procureur de Montpellier pour avoir refusé de célébrer le mariage entre une Française et un Algérien en situation irrégulière. Après avoir refuser de plaider coupable mardi, il sera de nouveau convoqué à une date ultérieure devant le tribunal correctionnel.
Il encourt 5 ans de prison, une amende de 75 000 euros et une peine d’inéligibilité pour avoir estimé en juillet 2023 qu’il « n’allait pas marier quelqu’un qui a l’obligation de quitter le territoire (OQTF) ». Le 11 février dernier, le compagnon de route du Rassemblement national persiste et signe devant la presse : « Ce garçon était en situation irrégulière. Je n’ai pas respecté un point de la loi parce que c’est une loi inadmissible », s’est-il justifié.
Promettant qu’il « n’accepterait jamais » une sanction qui irait « au-delà » du symbolique, le maire de la sous-préfecture de l’Hérault a lancé : « Je ne suis pas un voleur de poules, je n’ai rien fait qui soit moralement condamnable. »
Derrière la polémique politicienne, des vies brisées
Les risques de sanctions encourus par le maire sont au centre des arguments utilisés pour grignoter le droit au mariage. « Le mariage est un droit, ce n’est pas un passe-droit, a déclaré Gérald Darmanin, souhaitant une modification de la loi. « Je suis sûr que votre assemblée trouvera les moyens de rendre constitutionnel ce texte. Notamment en permettant, j’y suis favorable, que si le procureur ne réponde pas, on donne raison au maire », a poursuivi le ministre soulignant « qu’aujourd’hui c’est l’inverse : si le procureur ne répond pas, le maire est obligé de marier ».
C’est d’ailleurs aussi la protection de l’élu qu’invoque le sénateur de la Somme pour expliquer la présentation de sa proposition de loi. « J’ai été très marqué par ce qui était arrivé au maire d’Hautmont, Stéphane Wilmotte, qui encourait une peine d’inéligibilité et le versement de dommages et intérêts pour avoir refusé de célébrer le mariage d’un ancien président d’une mosquée fermée pour discours haineux et apologie du djihad armé, sous obligation de quitter le territoire », a-t-il expliqué à Public Sénat.
Quels que soient les arguments mis en avant, cette nouvelle attaque contre nos libertés fondamentales est surtout l’occasion d’un nouvel alignement sur les idées de l’extrême droite. En la matière, les candidats potentiels à la présidentielle à droite se livrent, comme à leur habitude, à une véritable course à l’échalote pour savoir qui aura le discours le plus sécuritaire ou le plus raciste. Au final, la proposition de loi a peu de chance de passer, la commission des Lois du Sénat s’étant refusé, le 17 février, à adopter un texte qu’elle continue de juger non constitutionnel.
En attendant, en faisant le buzz et en utilisant quelques cas extrêmes pour alimenter la méfiance vis-à-vis des couples mixtes, les politiques de droite vont compliquer la vie de milliers de Français qui épousent un étranger sans papier. En réalité, pour ces couples, dénonçait déjà en 2009 le Groupement d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), « le droit au mariage est devenu une véritable course d’obstacles où tous les prétextes sont bons pour disqualifier un dossier ».
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