Les amygdales à l’air, Simone de Boulevard attend de recevoir l’hostie en bouche. Ce soir, c’est une chips. Vêtu d’une soutane noire et d’une écharpe de l’Olympique de Marseille en guise d’étole, le prêtre persifle : « Avale ! ». La drag-queen s’exécute docilement, puis allonge le pas sur le tapis rouge dressé au sol de la passerelle Debilly. En cette soirée du 31 octobre Tour Eiffel paraît moins scintillante que son visage joliment maquillé. « Je suis Dalida ressuscitée des morts », ironise celle qui ne rêve pas vraiment de mourir sur scène, perruque rousse à frange sur la tête et petite robe fourreau sur le dos.
Le presbyterium gouailleur s’adresse à leur sainte divinité : Aya Nakamura. Les nonnes aux cornettes roses, Jésus auréolé d’une couronne lumineuse et autres démons aux ailes en aluminium, s’agenouillent au sol et joignent leurs mains. Les paupières closes, les faux cils au repos, tous supplient « Sainte Aya » de lutter « contre les fachos ». Ce simulacre de recueillement parodie la prière de rue qui s’est tenue trois semaines plus tôt, initiée par de jeunes catholiques intégristes, le 7 octobre. Leur but alors : « réparer » le « blasphème de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques », scandalisés par la performance d’artistes drag queen et king. Quitte à s’acharner contre « le satanisme et l’idéologie LGBT », comme s’en est chargé Mathieu Goyer, ancien militant fondamentaliste de l’organisation Civitas, désormais interdite.
« Leur répondre et répliquer avec une parodie du clergé »
Face à ces prières « homophobes » ainsi récitées, Tarik ne pouvait rester sans réaction. Impossible pour lui de leur laisser dire la messe. Le prêtre défenseur de l’OM, et militant du collectif communiste et queer Les Inverti·e·s, réfléchit immédiatement à la riposte. Une idée émerge alors : « leur répondre et répliquer avec une parodie du clergé ». Il ne lui restait plus qu’à s’entourer de figurer divines et à leur trouver des tenues ecclésiastiques à strass et à paillettes. « Que la cérémonie de réhomosexualisation de la passerelle Debilly commence ! », se satisfait Tarik. Simone de Boulevard rappelle l’objectif de cette soirée : « se moquer assurément des cathos intégristes ». En fond, les enceintes crachent le titre « Judas » de Lady Gaga.
« Priez pour vous »
« Au nom des trans, des pédés et des saintes gouines » est écrit, en style gothique, sur une banderole d’un blanc immaculé. À l’image de la Vierge Marie LGBT qui est aussi au rendez-vous, poupon dans les bras. Un ange déchu surélève une pancarte : « Ceci est mon corps, priez pour vous ». La troupe défile avec assurance et reprend le pont à ceux qui les ont « insulté, choqué et blessé ». « On ne peut pas leur laisser le terrain comme ils l’ont occupé en 2012 lors de la manif pour tous », lance Tarik. On ne restera pas dans le placard dans lequel on nous confine depuis des années ».
Les rires se tarissent toutefois lorsque Simone rappelle le « climat et les attaques LGBTIphobes ». Et plus encore quand Cendorine, autre Drag queen du collectif, détaille les positions conservatrices et réactionnaires du gouvernement Barnier. « On croyait avoir gagné les élections législatives et nous voilà avec des personnes qui ont voté contre l’interdiction des thérapies de conversion, le mariage pour tous, la procréation médicalement assistée (PMA) », se scandalise Tarik. « Vous vous rendez compte que Bruno Retailleau a autorisé que ces prières de rue aient lieu ? », réagit Simone de Boulevard. Un fait qui a également scandalisé les sénateurs communistes, Ian Brossat et Pierre Ouzoulias, qui ont immédiatement interpellé le Premier ministre, l’exhortant de mettre un terme à ce genre de manifestations ultra-religieuses.
Les communautés LGBTQIA + n’ont elles pas la chance de jouir de la tolérance dont bénéficient les catholiques intégristes. Au contraire, les drag-queens angoissent de devoir prendre les transports en commun, de se balader dans la rue, de se faire interpeller par les forces de l’ordre. Mais ce soir est à part : Cendorine profite de cette soirée d’Halloween pour déambuler dans le centre parisien en toute quiétude. Les riverains ainsi déguisés, elle entend se fondre dans la foule et passer inaperçue. Pour une fois. Les autres soirs, Cendorine affiche un autre type de masque : un manteau long pour cacher sa tenue comme son corps, par peur d’une potentielle agression. Le bruit de lourdes bottes qui claquent sur le bois du pont l’arrête net dans son récit. Des policiers courent en leur direction. Fausse alerte. Ils chassent des vendeurs ambulants de Tour Eiffel miniatures. Les membres du collectif se dispersent tout de même, le rassemblement n’est pas déclaré en mairie. Ils jettent des regards derrière leurs épaules, craintifs. Le divin ne protège pas de tout.