En 2021, il avait fallu quelques heures à Bruno Le Maire pour empêcher le rachat de Carrefour par le groupe canadien Couche-Tard. Pour Atos, le ministre de l’Économie a mis cinq ans pour faire bouger l’État. Dimanche, il annonçait son intention de prendre des participations au capital du groupe pour protéger les activités les plus stratégiques.
Mais cette bouée lancée au fleuron du numérique perclus de dettes paraît sous-dimensionnée aux quatre sénateurs 1, qui ont rendu public mardi leur rapport d’information « Atos : une intervention tardive et insuffisante de l’État ». Pour Sophie Primas, corapporteure LR, l’avenir de l’entreprise passe par ses deux entités : Eviden et ses activités stratégiques dans le militaire, le nucléaire et les supercalculateurs ; Tech Foundations et son infogérance et ses gestions de données.
Cette division d’Atos en deux entités séparées a-t-elle un sens ?
Sophie Primas
sénatrice (LR) des Yvelines
Nombre de personnes entendues par la commission ont souligné que les deux entités étaient liées par des contrats et des compétences croisés, irriguant le développement de l’ensemble des activités. D’autre part, cette division mise en place au moment du projet de cession de Tech Foundations à Daniel Kretinsky devait faire porter cette dette sur la seule Eviden. Nous considérons qu’elle n’aurait pas pu la soutenir. Le problème d’Atos est sa dette : il ne peut être réglé qu’en prenant en compte toutes ses activités.
Comment Atos s’est-il retrouvé dans cette situation ?
Les avis divergent. Atos a connu deux périodes. Une première, sous la direction de Thierry Breton (2008-2019 – NDLR) de très forte croissance, avec de nombreuses acquisitions. Les syndicats estiment que le groupe n’en avait pas besoin, d’autres interlocuteurs affirment que tout est allé trop vite, trop loin et trop cher. Mais Atos a alors acquis une crédibilité internationale. Ces décisions prises par Thierry Breton ont été validées par un conseil d’administration composé d’industriels, au fait de ces sujets.
« Il a fallu attendre l’été 2022 et l’enclenchement de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pour que l’État s’occupe enfin de l’offre d’achat sur Tech Foundations. »
Quelques mois avant son départ, l’endettement était géré. Mais sa succession a été très mal préparée. Entre 2019 et 2024, six directeurs généraux et deux présidents se sont succédé. La stratégie est devenue purement financière. Nous pointons aussi la réaction beaucoup trop tardive de l’État.
Y a-t-il eu défaillance de l’État ?
Il a fallu attendre l’été 2022 et l’enclenchement de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pour que l’État s’occupe enfin de l’offre d’achat sur Tech Foundations, mais en se focalisant sur ce sujet sans prendre en compte l’ensemble du groupe et sa dette (5 milliards d’euros aujourd’hui – NDLR). Il y a là une anomalie à régler du point de vue législatif. Aucun projet de cession n’a ensuite abouti.
L’État s’est comporté en pompier, non pas en stratège. Il a fallu l’alerte lancée par le ministère des Armées, puis la tribune signée par les sénateurs et l’alarme des élus locaux à propos de l’usine de supercalculateurs d’Angers, pour que la situation soit prise en compte. Bruno Le Maire nous fait valoir la nomination d’une médiatrice. Mais c’était il y a quelques semaines. Ses annonces de dimanche soir nous ont fait sourire : il y avait là une heureuse concomitance avec la date de publication de notre rapport.
Les nouvelles intentions de Bercy suffiront-elles à sauver le groupe ?
Nous préconisons une prise de participation dans la structure faîtière, Atos SE, afin que l’État entre au conseil d’administration et fasse retomber la température sur les marchés financiers, car sa présence rassurerait et permettrait, par exemple, de la conversion de la dette en participation au capital.
Notre deuxième proposition est de faire entrer la BPI au sein d’Eviden, à hauteur de 10 à 15 %, afin de conserver un œil sur la politique de ses activités ultrastratégiques. Enfin, il faut chercher à effacer une grande partie de la dette et être attentif à la qualité des offres de reprise.
Atos échappera-t-il à une vente à la découpe ?
La vente de Worldgrid, filiale qui gère le pilotage des centrales nucléaires, était déjà actée. L’État doit être attentif à l’acheteur, qui doit être français et en accord avec EDF. D’autres ventes seront peut-être réalisées. Des restructurations, notamment en Allemagne, ont aussi débuté dans l’infogérance, secteur où la concurrence est forte et où les délocalisations s’accélèrent. Cela permettra de stabiliser financièrement le groupe pour qu’il puisse faire face à sa dette. Mais nous ne sommes pas favorables à une vente à la découpe.
Le groupe peut survivre dans son périmètre actuel. Je ne suis pas sûre que l’on se dirige vers cette solution au vu des dernières déclarations de Bruno Le Maire. Nous demandons de plus le soutien « commercial » de l’État à Atos : l’État doit être exemplaire et confirmer ses commandes car les difficultés traversées par l’entreprise peuvent, aujourd’hui, faire hésiter les clients et ainsi accélérer les besoins de financements. Il faut donc faire vite.