Le 21 juin 2019, un père retrouvait sa fille Evaëlle, âgée de 11 ans, pendue à son lit, dans leur pavillon à Herblay (Val-d’Oise). Près de six ans après son suicide, le procès de l’enseignante de la collégienne se tient ces lundi 10 et mardi 11 mars au tribunal correctionnel de Pontoise où elle sera jugée pour harcèlement sur mineur.
Dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, il lui est reproché d’avoir « humilié régulièrement » Evaëlle devant sa classe, de l’avoir « isolée au fond » et d’avoir organisé « des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire, au cours desquelles elle l’a stigmatisée comme étant victime de harcèlement par ses camarades et l’a contrainte à répondre aux questions de ceux-ci ».
L’ensemble de ces comportements ont eu « pour effet une dégradation très importante des conditions de vie de la jeune fille qui s’isolait de plus en plus », écrit la juge. Par ailleurs, trois adolescents sont poursuivis pour avoir harcelé Evaëlle, et deux d’entre eux ont été renvoyés devant le tribunal pour enfants pour harcèlement sur mineur.
L’enseignante avait demandé aux élèves de faire des reproches à Evaëlle, qui devait ensuite s’expliquer
« Les parents sont déterminés à ce qu’il n’y ait plus jamais d’affaire Evaëlle », a déclaré à l’Agence France Presse l’avocate des parents de la fillette, Delphine Meillet. Et d’ajouter : « Les parents d’Evaëlle ont fait le maximum et l’institution a fait le minimum. »
Six mois avant son suicide, l’adolescente avait tenté de mettre le feu à une poutre de la maison après une rupture amicale. Depuis l’entrée d’Evaëlle en sixième au collège Isabelle-Autissier d’Herblay, les problèmes s’étaient multipliés pour la jeune fille, déjà victime de brimades en primaire. Elle éprouvait diverses tensions avec son enseignante de français au sujet de la mise en place d’un protocole médical relatif à des problèmes de dos.
La situation avait, dans un premier temps, été réglée en interne et Evaëlle, décrite comme précoce, joyeuse mais ayant des difficultés dans les relations sociales, n’appréhendait plus de se rendre en cours de français. Pourtant, quelques mois plus tard, durant une session consacrée au harcèlement scolaire, l’enseignante avait demandé aux élèves d’exprimer leurs reproches à Evaëlle qui devait ensuite s’expliquer. Face à ses pleurs, l’enseignante s’était énervée et lui avait intimé de répondre aux questions, d’après les récits des élèves.
« J’aimerais rappeler que je ne suis pas mise en cause dans le décès d’Evaëlle. On me reproche des supposés faits de harcèlement moral, que je conteste. J’ai adoré mon métier, je l’ai exercé avec passion. C’est difficile d’être incriminée de la sorte. J’espère que ma parole sera entendue par le tribunal », a réagi l’enseignante dans une déclaration transmise à l’Agence France Presse par son avocate Marie Roumiantseva.
« L’espoir de ce procès est de pouvoir établir les défaillances multiples de l’institution »
Depuis 2021, l’enseignante ne peut plus faire cours à des mineurs et a une obligation de soins psychologiques.Son dossier administratif fait état d’une « professeur expérimentée, sérieuse et dynamique » mais l’enquête a brossé un autre portrait.
La majorité des élèves interrogés ont rapporté qu’Evaëlle était une cible récurrente de la professeure qui lui criait dessus et l’isolait au fond de la classe. L’enseignante est également mise en cause pour avoir harcelé deux autres collégiens. Elle a obtenu un non-lieu pour une quatrième élève.
« L’espoir de ce procès est de pouvoir établir les défaillances multiples de l’institution à trois égards », a déclaré l’avocate des parents d’Evaëlle Delphine Meillet, évoquant une défaillance institutionnelle du collège, une défaillance administrative et une défaillance législative, palliée depuis par une loi de mars 2022 reconnaissant le harcèlement scolaire comme un délit.
En février 2019, les parents d’Evaëlle avaient porté plainte contre plusieurs élèves et retiré leur fille du collège. Celle-ci était depuis suivie par un psychologue mais elle avait fait face à un nouveau comportement violent dans son second collège. L’Éducation nationale a indemnisé la famille au titre du préjudice moral en échange de l’abandon d’éventuelles poursuites envers l’État, rapporte le rectorat de Versailles.
L’enseignante, aujourd’hui âgée de 62 ans, avait aussi été poursuivie pour « homicide involontaire » suite au suicide d’Evaëlle, mais a bénéficié d’un non-lieu à l’issue de l’instruction. La juge avait estimé qu’il n’était pas « possible de déterminer les éléments précis ayant conduit à son décès ».
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