Correspondance de Stockholm.
Malgré l’épaisse couche de neige, le poids lourd manœuvre, bien confiant, à l’arrière d’un storage Tesla, dans la banlieue de Stockholm. Des mécaniciens, tenues grises floquées du emblem « T », chargent des voitures sous le regard avisé d’Ola Sjösten. « Nous comptons tous les jours les véhicules qui partent et arrivent, précise le syndicaliste à la carrure épaissie par les couches de tee-shirts et pulls sous son manteau. Ça va nous permettre d’évaluer l’efficacité de la grève », ajoute-t-il. Dans la zone industrielle de Segeltorp, les concessionnaires rivalisent de logos géants pour attirer l’œil des shoppers. Mais, devant les garages Tesla, banderoles, pancartes et tonnelles rouges ont aussi fait leur apparition. Voilà plus d’un mois qu’Ola et ses collègues du syndicat IF Metall se relaient pour tenir le piquet de grève. Leur conflit social fait les gros titres en Suède, depuis que la célèbre marque refuse de signer les conventions collectives, pierre angulaire du droit du travail dans le pays.
Dans les rues Stockholm, il n’est pas uncommon d’entendre les voitures électriques hululer comme des vaisseaux de science-fiction. Tesla est établi en Suède depuis neuf ans, cinquième pays où la firme d’Elon Musk enregistre le plus de ventes en Europe. Mais, sur le plan social, les résultats sont tout autres. « Ils nous ont fait miroiter pendant des années la signature d’une conference collective. Nous avons atteint les limites de notre endurance », martèle Marie Nilsson, présidente du syndicat IF Metall. Les hostilités débutent fin octobre. Tesla claque la porte des négociations en faisant savoir qu’elle n’acceptera pas de conventions sous prétexte qu’elle ne le fait « nulle half ailleurs », rapporte la présidente du deuxième syndicat du pays. L’organisation professionnelle réplique le 27 octobre avec l’appel à la grève des 130 mécaniciens des centres de réparation Tesla.
L’exemple des Huge Three
De l’autre côté de l’Atlantique, Elon Musk s’est déjà illustré dans ce fight rétrograde. En 2018, le fantasque PDG a mis au défi United Auto Staff (UAW), le puissant syndicat américain des ouvriers de l’car, de syndiquer les employés de son usine californienne. Remark ? En menaçant ces derniers, by way of un tweet, de leur retirer leurs actions s’ils osaient la démarche. Plus récemment, dans la foulée de sa victoire face aux Huge Three – Normal Motors, Ford et Chrysler (Stellantis) – auquel il a arraché une augmentation de 25 % des salaires, UAW a prévenu qu’il poursuivrait le fight, notamment en encourageant la création de sections dans d’autres entreprises du secteur, comme Toyota et Tesla. Une annonce restée en travers de la gorge de l’homme le plus riche de la planète : « Je suis opposé à l’idée du syndicalisme, a-t-il commenté. Je n’aime pas les choses qui créaient une sorte de relation paysans et seigneurs. Et je crois que les syndicats essaient de créer naturellement une ambiance négative dans une entreprise. »
Cette imaginative and prescient ne passe pas du côté de la Suède. « Les lois qui encadrent le droit du travail sont très largement définies dans les conventions collectives », rappelle Anders Kjellberg, professeur émérite de sociologie spécialisé dans l’histoire syndicale du pays. Ces conventions régissent les augmentations des salaires, les assurances diverses, la pension de retraite… Les accords, conclus en général tous les deux ou quatre ans, constituent le cœur du modèle suédois. « Les négociations articulent le dialogue social et forment une garantie de safety et de prévisibilité aux salariés », précise le sociologue. Dans le royaume scandinave, 88 % des salariés sont couverts par ces accords de branche. Et le pays compte un des taux de syndicalisation les plus élevés de l’OCDE (65,2 %) . « C’est une norme bénéfique à tous. Cela permet d’avoir un dialogue sain entre employeurs et employés », affirme Marie Nilsson.
« Si Tesla ne signe pas d’accord, d’autres entreprises vont se demander pourquoi ils ne le feraient pas non plus. »
Ola Sjösten, négociateur syndical
En octobre, l’entreprise suédoise de paiement en ligne Klarna a également essayé d’échapper aux signatures d’accords collectifs. Après des mois de négociations, la path a fini par céder sous la menace d’un préavis de grève. L’enjeu est essential pour la patronne d’IF Metall : « En Suède, sans conference, il n’y a pas de droit du travail. Nous ne pouvons pas nous permettre que des entreprises refusent de se plier aux règles du jeu du pays. » Un constat que partage Ola Sjösten. « Si Tesla ne signe pas d’accord, d’autres entreprises vont se demander pourquoi ils ne le feraient pas non plus », abonde le négociateur syndical, en pointant le bout de sa moufle vers le concessionnaire Volvo, de l’autre côté de la route.
Dans le deuxième pays à faire le moins grève en Europe, David 1 n’a pas hésité une seconde. Lui a adhéré à IF Metall dès ses 18 ans, alors qu’il n’avait pas encore terminé ses études. « C’est regular ici de faire partie d’un syndicat », abonde-t-il. « Presque toute ma classe au lycée était syndiquée ! » , s’exclame le jeune technicien de 25 ans dans un anglais parfait, teinté de l’accent chantant suédois. Par crainte de représailles, « on ne sait jamais », David préfère témoigner sous couvert d’anonymat. « C’est tout de même intimidant, glisse-t-il, c’est la première fois que je fais grève. » Lui est bien au fait de ses droits. Ce n’est pas forcément le cas de ses collègues. « C’est un environnement très worldwide. On parle principalement anglais entre nous », rapporte-t-il. Une des raisons, selon lui, qui explique que la mobilisation soit moins suivie dans certains garages. « Je les comprends, lâche-t-il. Ils craignent de perdre leur emploi, de voir leur visa de travail révoqué s’ils font trop de vagues. »
Des actions de blocage dans tout le pays
Le storage de Segeltorp, lui, semble tourner à plein régime. Les shoppers s’enchaînent pour déposer leur voiture, les mécaniciens s’affairent dans l’atelier sous le crépitement des visseuses. Par – 10 °C, quatre représentants d’IF Metall tiennent le piquet de grève, sans gréviste. Camilla Wedin, aussi « ombudsmän » (médiatrice) d’IF Metall, est venue de Dackebygden, à quelque 300 km au sud de Stockholm. « Ça nous fait chaud au cœur quand les riverains nous ramènent des pâtisseries ou des bonbons. On despatched que les gens soutiennent la grève », rapporte la militante, le nez rougi par le froid. À chaque gorgée de thé bien chaud, avalé avec des petits nuages de vapeur, elle désigne des pancartes enfoncées dans la neige. Des syndicats d’autres branches professionnelles venus rejoindre le mouvement. « C’est surtout grâce à leur mobilisation que nous allons pouvoir contraindre Tesla à venir négocier », assure-t-elle.
Neuf autres organisations ont rejoint les mécaniciens en grève d’IF Metall, et organisent le boycott de Tesla par des actions de blocage dans tout le pays. Depuis début novembre, les dockers de cinq ports ne débarquent plus les fameuses voitures. Les électriciens, eux, ne réparent plus les bornes de recharge de Tesla. Les postiers ont arrêté la distribution des courriers à vacation spot de l’entreprise. « C’est un droit puissant inscrit dans la Structure », précise Anders Kjellberg. Une mobilisation similaire avait eu lieu en 1995, lorsque l’entreprise Toys « R » Us avait refusé la signature d’accords collectifs. Trois mois de grève. Sans ramassage des ordures et nettoyage des magasins. La path américaine avait fini par céder.
Des plaintes déposées par Tesla
Les mesures solidaires commencent à porter leurs fruits. La pression s’accentue au level que Tesla se tourne vers les tribunaux. Le groupe a déposé deux plaintes fin novembre. L’une contre la compagnie des postes NordPost, pour exiger la reprise des livraisons des plaques d’immatriculation, indispensable pour la mise en circulation des voitures électriques. L’autre contre l’autorité des transports suédois qui délivre les plaques d’immatriculation afin de les récupérer directement sur place. Le tribunal de Norrköping, sollicité sur la deuxième plainte, a demandé temporairement à l’administration d’autoriser la remise des précieuses plaques aux concernés. Une décision surprenante pour Anders Kjellberg. « Le gouvernement doit faire preuve de neutralité en cas de conflits sociaux. À travers ce jugement, la cour ordonne à l’État de prendre parti dans le conflit. »
Les réunions entre grévistes, les repas et formations proposés par le syndicat… David apprécie. Mais le jeune homme reste impatient de rejouer de l’outil sur les voitures de luxe. « J’ai besoin de bouger, j’adore mon métier ! Honnêtement j’ai surtout peur de m’ennuyer », dit-il, le cœur presque léger. Pour ses revenus, en revanche, pas de crainte. Les grévistes sont payés à hauteur de 130 % de leur salaire et les caisses d’IF Metall, remplies par la solidarité, sont pleines. Environ 1,3 milliard d’euros, selon le gréviste. « On a de quoi tenir au moins une dizaine d’années s’il le faut ! » Elon Musk est prévenu.
Le conflit social en Suède menace de s’étendre dans le reste de la région. Notamment au Danemark, où le syndicat des transports 3F a annoncé se joindre au mouvement de solidarité en soutien des grévistes Suédois. Sans accord, 3F prévoit de bloquer les livraisons des voitures Tesla vers la Suède à partir du 20 décembre. Anu Hietala, secrétaire générale de la Fédération nordique des travailleurs des transports, indiquait que des discussions étaient également en cours chez les syndicats de dockers en Finlande et en Norvège pour envisager des actions contre Tesla. En Allemagne, Christiane Benner, la nouvelle dirigeante du syndicat IG Metall, a déclaré lors d’un discours en octobre : « Nous n’acceptons pas de zones sans syndicat. Même sur Mars », en s’adressant au dirigeant de Tesla, Elon Musk.