Lille (Nord), envoyé spécial.
« La famille passe avant tout », lance Sue-Ellen Demestre, au fil des appels auxquels elle répond régulièrement. Directrice et porte-parole du collectif Da So Vas (tendre la main, en romani), cette femme de 37 ans a vécu pendant vingt ans sur l’aire d’accueil des gens du voyage installée sur les communes d’Hellemmes et de Ronchin, près de Lille (Nord). Si elle habite aujourd’hui, avec ses enfants, dans une petite maison au nord de la capitale des Flandres françaises, elle continue à s’investir pour l’amélioration des conditions de vie sur ces terrains.
Elle a connu l’avant et l’après loi Besson, qui oblige, depuis 1990, chaque commune de plus de 5 000 habitants à posséder une aire d’accueil pour les gens du voyage. Le campement sauvage, puis l’installation sur un terrain. « Lille, c’est notre point d’attache, là où sont enterrés nos morts. Nous y revenions pendant quelques mois par an, l’hiver, se souvient Sue-Ellen Demestre. Construire des aires d’accueil permettait aux communes de nous empêcher de stationner nos caravanes où nous voulions. »
Entre cimenterie, concasserie de gravats et autoroute
En 2003, la métropole européenne de Lille (MEL) crée l’aire d’accueil Hellemmes-Ronchin, du nom des deux communes limitrophes. À proximité directe d’une cimenterie. Une trentaine de familles s’y installent. L’année suivante, toutes les familles tombent malades, les unes après les autres.
En cause : la gale du ciment. « Nous connaissions la gale, mais cette fois l’infection provoquait des crevasses dans la peau. Les enfants ont ensuite contracté l’impétigo. Les plaies favorisaient l’infection par staphylocoques. » Se rajoutent les problèmes respiratoires, liés à l’inhalation continue de poussières. En 2013, une concasserie ouvre ses portes de l’autre côté du camp. Entre la cimenterie, l’autoroute située non loin et les quelques champs régulièrement pulvérisés de pesticides, c’est « l’usine de trop » pour les familles.
« On doit choisir entre mourir à petit feu ou être plongé dans la précarité et l’endettement. »
« C’est à ce moment-là que ma sœur décide de monter le collectif Femmes LM Ronchin (comprendre : Hellemmes-Ronchin – NDLR), qui deviendra l’association Da So Vas » pour « se faire entendre » et dénoncer leurs conditions de vie sur cette aire d’accueil. Sa particularité : elle n’est constituée que de femmes. « Ce sont elles qui s’occupent des enfants. De toute façon, les hommes acceptent mal de demander de l’aide, persuadés que celle-ci n’arrivera pas », confie Sue-Ellen Demestre.
Au sein de l’association, on n’hésite pas à parler de « racisme environnemental ». « Si vous cherchez une aire d’accueil, cherchez une zone polluée et dangereuse, cherchez les déchetteries. Nous sommes relégués dans les pires zones du point de vue environnemental », résume la jeune mère de famille. Sans compter que vivre dans ces aires coûte cher. Chaque mois, les familles doivent débourser « entre 200 et 500 euros, selon les saisons. Une mère avec quatre enfants, comme moi, n’a pas les moyens de verser plus de la moitié de la somme. Du coup, on s’endette et on finit par risquer l’expulsion ». En dépit de ces difficultés, Sue-Ellen Demestre est l’une des seules à être partie.
« Je suis une exception. Chez nous, on ne se voit pas vivre autrement qu’en caravane, c’est notre mode de vie. Mais si on s’installe en dehors des aires, on risque des amendes. On doit choisir entre mourir à petit feu ou être plongé dans la précarité et l’endettement. »
Un bras de fer pour faire reconnaître la nocivité du lieu
Encore aujourd’hui, aucun lien officiel n’a été établi entre l’état de santé des habitants de l’aire et la pollution du site. Dans leur bras de fer pour la reconnaissance des maladies liées à la pollution environnementale, les femmes ont tout de même obtenu, à Hellemmes-Ronchin, que les taux de poussière soient évalués sur la zone.
« Mais ce type de test ne permet que de mesurer le respect ou non du cadre légal par les usines alentour en termes d’émissions de polluants », regrette la porte-parole du collectif. La jeune femme milite pour que des tests sanguins soient réalisés sur la population des gens du voyage, « afin de démontrer la nocivité du lieu ».
À force de labeur, l’association a pu, en novembre 2023, faire entendre sa voix dans le cadre d’une consultation publique organisée par la métropole Lille Europe sur l’emplacement des futures zones d’accueil du territoire. « On ne va pas lâcher, c’est une porte dans laquelle nous allons nous engouffrer. C’est la première fois que l’on prend part au processus décisionnel », se félicite Sue-Ellen Demestre, qui, pour appuyer son propos, brandit la charte des droits fondamentaux que le collectif a élaborée avec, pour objectif, le respect de la dignité humaine.