Dénoncer une culture de la grève à la SNCF en février, lors du conflit chez les contrôleurs, tout en fustigeant un accord sur les cessations progressives d’activité largement ratifié par les syndicats (CGT, Unsa, SUD, CFDT) deux mois plus tard ? C’est le « en même temps » initié par une partie de la droite et de la Macronie. Jeudi 5 mai, assurant ne pas avoir été prévenu de ces négociations, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, est allé jusqu’à convoquer le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou : « Je tiens à ce qu’il m’explique comment il finance cet accord », a alors taclé le locataire de Bercy. Seulement quelques jours plus tard, voilà le patron des cheminots révoqués. Il ne sera pas reconduit pour un deuxième mandat à la tête du groupe ferroviaire mais poursuivra sa mission jusqu’aux JO, a annoncé le gouvernement mardi 7 mai.
Il faut dire que la concrétisation d’un large accord, issu du dialogue social à la SNCF, sème la discorde dans l’exécutif. Mardi 30 avril, devant les députés, le ministre des Transports assurait que « le contribuable ne versera pas un centime ». Patrice Vergriete prévenait ainsi : « C’est en interne, avec des gains de productivité, que la SNCF devra financer » les différentes mesures.
Suivi de près par le ministère des Transports et Matignon, l’accord prévoit que l’ensemble des cheminots pourront, dix-huit mois avant leur fin de carrière, travailler neuf mois à temps complet puis effectuer neuf mois non travaillés mais rémunérés à 75 %. De plus, prenant en compte la pénibilité des métiers, les contrôleurs pourront opter pour une cessation progressive sur trente-six mois. Chez les conducteurs et les aiguilleurs, les mesures s’étalent de vingt-quatre à trente mois, dont la moitié sans activité mais rémunérée à 75 %. « Sur trente années de carrière, un agent de conduite ou un contrôleur passe six ans hors de chez lui. Cette pénibilité mérite une compensation et un atterrissage correct en fin de carrière », note Thierry Nier, secrétaire général de la CGT cheminots.
Bénéfices de 1,3 milliard en 2023
Selon les Échos, ces avancées coûteraient entre 30 et 40 millions d’euros, leur montant réel dépendant du nombre d’agents qui déclencheront ces mesures. « Cet accord est financé par la SNCF, sur son propre compte d’exploitation, à partir des bénéfices qu’elle réalise, insiste dans une note, Stéphane Itier du cabinet Secafi-Alpha. Et les économies sous-jacentes liées à ces départs dans les prochaines années permettront sans doute de renforcer davantage ces résultats. »
En 2023, malgré le mouvement social sur les retraites, la SNCF avait enregistré 1,3 milliard d’euros de bénéfices. Une troisième année consécutive dans le vert, post-Covid, après des résultats de 2,4 milliards en 2022 et 900 millions en 2021. Pas de quoi convaincre le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, qui dénonce un « contournement de la réforme des retraites ». « Plus de 80 % des Français ne voulaient pas de cette réforme imposée par 49.3. Lors du conflit social, l’exécutif assurait que les discussions auront lieu dans l’entreprise, pour tenir compte de la pénibilité. Et désormais, on nous le reproche ? » retoque Thierry Nier.
Assemblée générale de la SNCF le 13 mai
Avec cette mise sous pression par le locataire de Bercy, avant que son mandat à la tête de la SNCF ne soit officiellement remis en cause par le gouvernement, Jean-Pierre Farandou temporisait, lors de la signature de l’accord, dont il était à l’initiative : « Ce nouveau droit apporte un progrès pour tous. Il va renouveler en profondeur les dernières années de carrière des cheminots et améliorer la prise en compte de la pénibilité, tout en ouvrant de nouvelles perspectives d’évolution professionnelle. » Alors qu’il fêtera ses 67 ans cet été, et donc sera bientôt frappé par la limite d’âge fixée à 68 ans pour sa fonction, l’avenir du PDG à la tête de la SNCF se limitera à l’été « afin de garantir la bonne organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques », précise – bon prince – l’exécutif. Ensuite, « la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat seront saisis par le président de la République du nom du successeur envisagé de M. Jean-Pierre Farandou », précise le communiqué.
Derrière ces jeux de couloirs, cette nouvelle croisade anti-cheminots relève surtout d’un double paradoxe. Bruno Le Maire reproche ainsi aux syndicats d’avoir obtenu un accord largement favorable aux cheminots, dans les clous des différentes lois travail actant le principe de la négociation au plus près du terrain, comme la règle du dialogue social, sans déclencher un seul jour de grève. Et celui d’une « SNCF devenue société anonyme, agissant sur des marchés privés, ouvert à la concurrence que l’on considère encore comme une collectivité financée par l’impôt », relate Stéphane Itier. Selon Thierry Nier, « la montée au front du patronat et de la droite réside dans la remise en cause du partage des richesses ». Et le secrétaire général de la CGT cheminots de prévenir : « L’accord signé à la SNCF a vocation à se démultiplier dans l’ensemble des champs professionnels. »