Les services à la personne coûtent un pognon de dingue ! C’est ce que, à la manière d’Emmanuel Macron, les magistrats de la Cour des comptes auraient pu s’exclamer lors de la présentation de leur récent rapport consacré au « soutien de l’État aux services à la personne ». Habitués à rester sur leur quant à soi, les « sages de la rue Cambon » sont demeurés courtois. Mais leurs conclusions sont sans appel : la puissance publique devrait couper dans ces dépenses aussi dispendieuses qu’inefficaces.
Jusque dans les années 1990, le secteur relevait surtout de l’aide à domicile et était principalement composé de structures associatives ou publiques. Mais en 2005, le lancement du plan Borloo de développement des services à la personne a misé sur une libéralisation de l’offre, censée encourager la création de postes (l’objectif était de créer 500 000 nouveaux emplois en trois ans ; un second plan tablait sur 100 000 emplois par an) grâce au déploiement des entreprises privées.
Près de vingt ans plus tard, le secteur souffre d’une très grande hétérogénéité de ses activités. Aide à la vie quotidienne, garde d’enfants, livraisons de repas, entretien et ménage à domicile, jardinage, bricolage… Pas moins de 26 activités font partie de ce maelström dont « le point commun est de réaliser des tâches ménagères ou familiales, la garde d’enfants et l’assistance aux personnes âgées et handicapées au domicile des bénéficiaires », précise la Cour.
Des effets « insignifiants »
Sauf que ces tâches relèvent de régimes juridiques divers : entreprises privées de formes juridiques variées, associations, organismes publics et microentrepreneurs. Autant de structures qui bénéficient de soutiens financiers, mais d’aucun pilotage d’ensemble. Et là aussi, c’est le bazar. Aux versements d’aides sociales, comme l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) en réponse à la dépendance, ou le Complément de libre choix du mode de garde (CMG) en soutien aux familles, s’ajoutent des ristournes fiscales aux particuliers employeurs. Publié en 2010, un rapport du Sénat expliquait qu’outre « les aides directes des départements (dépendance et handicap) et des caisses d’allocation familiale, il y a 18 dépenses (« niches ») fiscales et sociales, dont le crédit d’impôt pour l’emploi de salarié à domicile, qui représente 3 milliards d’euros (2009) ».
En 2022, l’ensemble de ces fléchages budgétaires hétérogènes atteignait 8,8 milliards d’euros, le « crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile » constituant à lui seul près de 6 milliards d’euros. D’où l’alarme de la Cour des comptes. Ce dérapage n’a pas eu l’effet escompté sur l’emploi. Les magistrats jugent que ces mesures aux effets « insignifiants » n’ont permis la création que d’environ « 70 000 équivalents temps plein supplémentaires depuis 2005 ». Un désastre. Salarier ces travailleurs à 3 000 euros brut par mois ne coûterait « que » 2,5 milliards, soit plus de 3 fois moins que les dépenses publiques actuelles.
Pis encore, le système actuel avantage les plus riches. « Parmi les 75 premiers centiles de revenu, le taux de recours aux services à la personne est inférieur à 10 %, alors qu’il est supérieur à 50 % parmi les 3 % de foyers les plus aisés », soulignent les auteurs du document.
Dernière conséquence : dans ce contexte dérégulé où l’argent public coule à flots, les entreprises privées de services poursuivent leur croissance et captent la plupart des demandes des clients solvables, tandis que les opérateurs publics et associatifs, qui ne sélectionnent pas leur public, voient leur part de marché s’étriquer et les financements se raréfier. Le pilotage en direct de tout cet ensemble par le ministère de l’Économie « reflète une priorité implicite accordée aux objectifs économiques et au secteur privé à but lucratif », relève la Cour des comptes.
Pour mettre un terme à cette gabegie, cette dernière propose deux scénarios. Dans le premier, elle préconise de ne rendre éligibles à des exonérations de cotisations sociales et à des taux de TVA réduits que les services relevant de la satisfaction de besoins sociaux prioritaires (autonomie, garde d’enfants). Exit les services dits de « confort » (vie quotidienne), qui impacteraient d’abord les plus aisés. Dans le second scénario, les magistrats proposent de circonscrire le périmètre du crédit d’impôt aux seules activités de la vie quotidienne (en excluant cette fois-ci les tâches relevant de l’autonomie et de l’accueil du jeune enfant), ce qui toucherait beaucoup plus de bénéficiaires. Son taux et son plafond seraient abaissés pour diminuer les aides. Des recommandations qui permettraient de changer profondément un système à la peine.