Quand Marie Carroget fait déguster ses vins, elle veut mettre le goûteur en confiance. On laisse l’odeur imprégner le nez, le cerveau, puis on goûte. Tous les mots, toutes les émotions qui viennent alors sont légitimes et peuvent être exprimés. En tout cas, tant qu’on n’est pas à plaquer les mots sexistes qui gangrènent encore le secteur. Son Simplement gamay ne veut pas être féminin ni masculin, et il ne porte pas de gown. « Je veux libérer la parole quand on goûte mes vins, et pour cela, il faut se refaire confiance », assure-t-elle. Et, quand on est femme dans ce monde d’hommes, c’est encore moins easy. Avec sa compagne, Marie a lancé Canons, un salon pour les vigneronnes, qui a eu sa sixième édition à Nantes il y a peu. « Il faut se rendre compte des insanités qu’on peut entendre sur certains événements, juste parce qu’on est femme et qu’on fait du vin… Au moins à Cannons, on peut parler sereinement boulot, parce que certaines vigneronnes sont vraiment seules. Et surtout, on est là pour faire goûter, montrer ce qu’on sait faire ! » affirme-t-elle.
« Terroir, pour moi, ce mot était vraiment le symbole du machisme»
Elle tempère toutefois : « Après, il faut reconnaître que deux vins du même cépage à 5 kilomètres l’un de l’autre peuvent être totalement différents, et cela vient du sol. C’est un formidable terrain de jeu, mais on peut trouver une manière différente de l’exprimer. »
Le domaine de la Paonnerie est situé près d’Ancenis, entre Nantes et Angers. Quand on lui parle du terroir, elle grimace. « Au début, pour moi, ce mot était vraiment le symbole du machisme. Des gars arrivaient dans les salons avec des cailloux de leur terrain et les exhibaient fièrement, style t’as vu mon beau silex ? ». Elle tempère toutefois : « Après, il faut reconnaître que deux vins du même cépage à 5 kilomètres l’un de l’autre peuvent être totalement différents, et cela vient du sol. C’est un formidable terrain de jeu, mais on peut trouver une manière différente de l’exprimer. »
Géographiquement, elle pourrait faire des vins sous AOC muscadet, « mais ils ne voudraient pas de moi, rigole-t-elle. J’aime récolter mon raisin, le melon de Bourgogne, quand il est mûr, cela fait vin fleuri, certaines années il a même des notes d’ananas. Rien à voir avec le vin sec et minéral que veut l’AOC ». Elle hausse les épaules et tranche la query. « Les AOC et moi, on ne vit pas dans le même monde. » L’univers de Marie Carroget est celui de l’urgence climatique. En cela, elle illustre parfaitement son engagement écoféministe.
« Si la vigne n’est pas stressée, le vin n’en est que meilleur »
Elle nous invite à se balader dans ses vignes. À droite, une parcelle de gamay. L’herbe y est haute. À gauche, du melon de Bourgogne et du grolleau. L’herbe y est rase. Un troupeau de moutons noir d’Ouessant y dévore le gazon avec utility, en compagnie de quelques poules. « Ce sont les bêtes de ma sœur. Il va falloir que je lui demande de les amener en face. » Elle explique : « Comme je ne laboure plus depuis 2018, il faut bien limiter l’herbe dans les vignes. Les moutons le font très bien, et en plus, ils produisent de la matière organique très fertile », assure-t-elle en souriant. Son travail dans les vignes consiste ainsi bien plus à accompagner qu’à domestiquer. Elle raconte qu’un jour, pour lutter contre le gel, elle a fait comme la majorité de ses collègues : un grand feu. « Je me suis dit que je n’allais pas brûler la planète pour avoir quelques raisins en plus, ce n’est pas ma démarche de vigneronne. » Maintenant, en cas de gel, elle applique une resolution de valériane sur les bourgeons. Il gèle toujours, mais cela facilite la repousse. « Je ne suis pas dans une démarche comptable ou productiviste, je suis convaincue en revanche que cet accompagnement déstresse la vigne, la rend plus résiliente, plus apte à survivre au réchauffement climatique. »
Lorsqu’elle suggest son pétillant naturel, à base de chenin, produit le lengthy de la Loire, on think about un style de vouvray, minéral et sec. Là encore, Marie Carroget nous surprend, les raisins de sa renverse sont cueillis à pleine maturité, le vin est doux, sans être sucré. Une caresse de fruit, qui peut même évoquer le poiré en fin de bouche. Un vin qu’on déguste avec gourmandise et sans soif.
Dans la même logique, pour ne pas agresser le raisin, elle n’utilise plus qu’un vieux pressoir en bois. Certaines années, la presse peut prendre jusque soixante-dix heures ! « Mais si la vigne n’est pas stressée, que le raisin n’est pas agressé, le vin n’en est que meilleur », précise-t-elle. Ainsi, ses cuvées sont du jus de raisin fermenté, et rien d’autre. Comme pour beaucoup de vignerons nature, l’équation est compliquée. « Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait que les riches qui aient accès à un vin de garde, tanique, et nature ! » Elle suggest une cuvée, entre 600 et 900 litres selon les années, un assemblage prélevé sur ses deux cépages rouge. Qu’elle met en barrique et limite à 10 euros la bouteille.