Le Sénat a sorti le brancard. À moins d’une dizaine de jours de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2025, un trio de parlementaires – Corinne Imbert (« Les Républicains »), Bernard Jomier (Socialiste, Écologiste et Républicain) et Olivier Henno (Union centriste) a présenté un rapport sur la mainmise des fonds d’investissement sur les établissements de santé. « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? » titre ce rapport commandé par la commission des Affaires sociales du Sénat.
Rendu public ce mercredi 25 septembre, le document se montre critique envers l’arrivée d’acteurs financiers privés dans le domaine de la santé. « Récemment entrée dans le débat public, la financiarisation de l’offre de soins demeure mal appréhendée et insuffisamment régulée par les autorités sanitaires », indiquent les auteurs de la mission d’information.
Un risque de « bulle spéculative »
Née dans les années 1990, la pratique a connu une progression rapide dès les années 2000, où des fonds d’investissement ont racheté des parts dans plusieurs secteurs de la santé : secteur hospitalier privé ou encore laboratoires d’analyses médicales.
Ainsi, l’hospitalisation privée se retrouve aujourd’hui détenue à 40 % par quatre groupes (Ramsay Santé, Elsan, Vivalto, Almaviva), et, de son côté, la biologie médicale privée est composée de six groupes de laboratoires d’analyses médicales concentrant, en 2021, 62 % des sites.
Le phénomène s’est ensuite étendu au secteur de la radiologie, puis aux centres de santé dentaires et ophtalmologiques, avant de s’introduire « depuis peu » dans les « centres de soins primaires ». « Progressivement, une partie de l’offre de soins bascule d’un modèle de capitalisme professionnel à celui d’un capitalisme financiariste », juge la sénatrice Corinne Imbert.
Au point que, en France, entre 2014 et 2023, le soin est devenu le troisième secteur ciblé par les acteurs du capital-investissement avec 18 % des montants investis pour un montant total cumulé d’environ 30 milliards d’euros, selon le rapport. Pour ces organismes, cette branche représente en effet un « investissement rentable » en raison du remboursement des prestations par l’État.
« Dans le champ de la biologie médicale, le taux de rentabilité a atteint 23 % en 2021 et la valorisation des groupes sur le marché a conduit la Caisse nationale d’assurance-maladie à évoquer un risque de ”bulle spéculative” », notent les rapporteurs. Une manne financière difficile à quantifier pour la Cnam et qui lui passe ainsi sous le nez.
Des répercussions négatives en cascade
Barbara Filhol, agente administrative en Ehpad et membre de la Fédération CGT de la santé et de l’action sociale, en a vu les répercussions : « Cela a été le cas dans les unités de psychiatrie en Occitanie, où la sous-traitance privée s’est installée. On a mandaté, dans un établissement public, une entreprise privée pour se charger du service de radiologie en raison d’un manque de professionnels », explique-t-elle.
Mais, dans ce cas précis, « la société privée a été rémunérée par les actes à la place de la structure publique ». Et les maux ne s’arrêtent pas là. La financiarisation pose aussi des problèmes de concentration des établissements ou encore d’indépendance des travailleurs. « La Cnam a souligné devant nous le positionnement biaisé des syndicats biologistes, soumis à la pression des groupes financiarisés lors des dernières négociations conventionnelles », confie Corinne Imbert.
Ainsi, les parlementaires pointent des effets de santé « mal évalués », « peu maîtrisés » et formulent un ensemble de 18 pistes pour réguler la pratique. Il y figure notamment une meilleure « régulation » du phénomène en s’appuyant sur les autorisations d’activité délivrées par les agences régionales de santé (ARS) pour assurer un meilleur équilibre territorial de l’offre.
Sur le modèle des centres dentaires et ophtalmologiques, les rapporteurs proposent aussi de conditionner toute ouverture de centre de soins primaires à « un agrément », ou encore, un encadrement plus strict des acteurs financiers en empêchant les investissements purement spéculatifs.
« Il nous semble indispensable de revoir les outils de régulation des dépenses de santé pour les adapter à la financiarisation, parachève Bernard Jomier (Socialiste, Écologiste et Républicain). Avec ces propositions, nous souhaitons définir un cadre clair pour tous les acteurs afin que les objectifs de santé publique priment. »
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