Depuis 30 ans les gouvernements successifs ont cru résoudre le problème de la rémunération du travail en réduisant son coût pour l’entreprise. Le SMIC est conservé mais il a été assorti, par étapes, à partir de 1993, d’un régime d’allègement des cotisations patronales sur les bas salaires jusqu’à 1,6 SMIC, puis 2,5 SMIC transférant des cotisations des entreprises aux contribuables, tel le financement d’une part significative de la couverture maladie, des allocations familiales, de la cotisation vieillesse des travailleurs les moins payés. Cumulés, ces allègements totalisent désormais plus de 60 milliards d’€, soit 10 % de la masse salariale et 30 % des cotisations sociales patronales. Ensuite La seconde mutation d’ampleur est le complément de la précédente : en parallèle à la montée en charge des allégements de cotisations, la France a développé une suite de dispositifs visant à compléter par des transferts sociaux le revenu insuffisant des travailleurs pourtant en emploi. Au total deux dizaines de milliards qui s’ajoutent aux 70 Mds précédents.
Tout cela pour un effet sur l’emploi non chiffrable de l’aveu même des experts gouvernementaux.
Constatons cependant que d’une part ces mécanismes créent « une trappe à bas salaires ». Si on prend le cas des exonérations, toute augmentation du salaire en dessous du seuil diminue le montant de l’exonération. La cotisation patronale étant devenue progressive ceci a pour effet de renchérir pour l’employeur les augmentations de salaire. D’autre part toute augmentation du SMIC entraîne un accroissement du champ des exonérations et donc des crédits budgétaires correspondants. Un coup de pouce de 1,5 % augmente la facture des allégements de 1,4 milliard d’euros. Le gouvernement peut de fait, être tenté, en situation de disette budgétaire de renoncer pour cette seule raison à « un coup de pouce » au salaire minimum. Enfin on peut s’interroger sur le choix stratégique visant à favoriser les emplois les moins qualifiés en réponse aux mutations technologiques et à la concurrence mondiale, au lieu de promouvoir une stratégie fondée sur le développement de l’innovation, des emplois qualifiés et des rémunérations correspondantes.
Question populaire et aussi question stratégique que celle de l’augmentation des salaires et du SMIC ! Question qui en tout cas est à la base d’un nouveau projet de développement. Ne doit-on pas considérer que la problématique de l’éradication des rémunérations insuffisantes participe de la bataille sur les « valeurs » ? Alors que l’objectif de la compétitivité à tous crins fabrique inégalités et clivages sociaux, une course de vitesse est engagée pour bâtir, en lieu et place d’une société de précarisation, un nouveau projet de développement social.
La question du pouvoir d’achat révèle l’existence d’une France à plusieurs vitesses. Pendant que certaines catégories privilégiées, profitant de la mondialisation, font sécession, des actifs en nombre croissant ne peuvent plus vivre de leur seul travail. Elle rend indispensable de bâtir plus de solidarité. La réponse est certes dans une politique de redistribution plus efficace (fiscalité, allocations…). Des réformes en la matière sont indispensables. Mais cette action trouvera cependant rapidement ses limites.
Il faut dans le même mouvement viser une « société juste » c’est-à-dire garantissant une correcte distribution des revenus et assurant une maîtrise sociale des pouvoirs économiques et financiers. La France a l’atout d’une main-d’œuvre parmi les plus productives au monde. Mais cette productivité est fondée avant tout sur l’intensité du travail. L’amélioration du pouvoir d’achat est dans cette configuration autre qu’une simple « relance ». Elle se conçoit comme la composante d’une nouvelle stratégie de développement social, économique et écologique qui, en faisant reculer la contrainte de la croissance financière s’efforcerait de multiplier les emplois en quantité et en qualité. Il faut d’urgence sortir des contradictions des politiques de réduction du coût du travail peu qualifié et subordonner toute aide aux entreprises à des critères explicites et contrôlables.