Selon les derniers chiffres de l’Insee, le revenu salarial moyen des femmes dans le privé reste inférieur de 23,5 % à celui des hommes. À temps de travail égal, les salariées gagnaient en moyenne 14,9 % de moins que leurs collègues masculins en 2022. Un écart qui s’est réduit au fil du temps, notamment avec l’augmentation de la part de femmes cadres (en 1995, le taux était de 22,1 %).
Dans son livre 1, l’économiste à l’université Paris-Ouest-Nanterre, Dominique Meurs, retourne aux sources de ces inégalités persistantes dans le secteur privé comme public. À travers des travaux de chercheurs, elle pointe l’efficacité de certains dispositifs.
1. Le « sac de nœuds » des inégalités salariales
Pour la chercheuse, cette question est plus complexe qu’il n’y paraît. « Il y a des comportements sexistes en entreprise, des réticences à embaucher des femmes qui ont, d’ailleurs, des carrières beaucoup plus plates. Mais ce n’est pas toute l’histoire. Une autre part de ces inégalités est liée à l’offre de travail : les femmes vont avoir à arbitrer entre vie familiale et professionnelle parce que les charges domestiques leur retombent dessus. C’est le poids des normes sociales. »
Une nouvelle étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pointe que les femmes « sont beaucoup plus fréquemment sans emploi ou à temps partiel pour des raisons liées aux enfants ». Ce sont les mères employées ou ouvrières qui sont le plus contraintes de cesser leur activité.
2. Les mères toujours en première ligne des discriminations
L’effet des maternités sur les carrières reste dévastateur. « L’interruption de carrière liée au congé parental vous écarte de l’entreprise pour longtemps. Elle est très difficile à compenser quand vous revenez », souligne Dominique Meurs. « Les employeurs pourraient prendre explicitement en compte les maternités dans les procédures d’évaluation et de promotion plutôt que de faire l’impasse. »
La deuxième cause est le travail à temps partiel. « Entre une personne célibataire qui peut rester jusqu’à 21 heures et une autre à temps partiel, il n’y aura pas photo pour les promotions », constate l’économiste, en ciblant au passage « l’injustice institutionnelle » de l’absence d’école le mercredi, qui contraint le plus souvent les mères à travailler à 80 %. Le ralentissement de carrière peut être lié à ces deux premières raisons mais aussi être indépendant. Juste par le simple fait d’être une femme : « Vous n’allez pas avoir le poste que vous voulez ou on va vous écarter au profit d’un homme jugé plus disponible. »
3. Casser l’orientation genrée à l’école
La ségrégation horizontale liée à l’orientation genrée des études est une des clés pour comprendre la persistance de ces écarts. « Les hommes sont toujours majoritaires dans les classes de prépa scientifique et les écoles d’ingénieurs. Ce n’est pas figé à jamais. Il y a eu une réorientation des jeunes femmes vers la médecine et la magistrature. Mais elles ne vont majoritairement pas dans les disciplines qui rapportent le plus », expose Dominique Meurs.
Le gender equality paradox (paradoxe de l’égalité de genre) est toujours d’actualité : plus les pays sont « développés », plus les femmes participent au marché du travail, moins elles sont proportionnellement dans les filiales scientifiques que les pays moins « développés ».
Pour l’économiste, il n’y a pourtant pas de fatalité. « Ce qui fonctionne bien pour casser ces stéréotypes, ce sont les « rôles modèles « féminins. L’expérimentation de Breda, Grenet et Monnet est sidérante en la matière. Elle montre qu’une heure d’intervention d’une chercheuse ou d’une femme issue du monde de l’entreprise, en terminale scientifique, augmente significativement le nombre de filles qui se dirigent ensuite vers une prépa scientifique. »
4. Dans ce combat, un rôle « moteur » des entreprises ?
Vectrices de ces inégalités salariales, certaines entreprises, parmi les plus grandes, seraient pourtant sur la bonne voie en termes de pratiques selon l’universitaire : « Ce n’est pas innocent, ça fait partie de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), de leur réputation. Elles ne se sont pas toutes converties au féminisme du jour au lendemain. Mais les services de ressources humaines peuvent être sincèrement convaincus de faire avancer les choses. »
Selon elle, la reconnaissance des paternités ou des parentalités, comme la possibilité que le père ou le partenaire parte plus tôt pour aller chercher le bébé à la crèche, devient un sujet de dialogue social entre direction et syndicats, notamment dans des groupes d’égalité professionnelle. « Les RH doivent tenir compte du hors-travail, de la famille… Au vu des difficultés de recrutement, elles ne peuvent plus penser que c’est le salarié qui va s’adapter aux conditions offertes. »
5. Un plafond de verre difficile à briser
Selon le Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), le plafond de verre résiste : les femmes demeurent sous-représentées aux postes de management en Europe, 10 % en moyenne contre 12 % pour les hommes. Si l’économiste n’est pas complètement convaincue par la mise en place de quotas de femmes notamment dans les conseils d’administration, pour inverser la tendance, elle estime en revanche que « rendre les procédures de promotion claires et connues de tous, ça fonctionne. Beaucoup de recherches l’ont démontré. Pour celles qui candidatent, les chances de promotion deviennent égales à celles des hommes ».
Dans la magistrature, cette transparence existe déjà. « Là, on n’observe pas de plafond de verre. Le mentorat, par une femme ou un homme qui va donner des conseils sur la suite de la carrière, peut également être utile. » Le « name and shame » (donner le nom d’une entreprise pour dénoncer ses pratiques) semble avoir des effets, notamment en Grande-Bretagne. Depuis 2018, l’obligation pour les 10 000 plus grandes sociétés de publier les écarts de salaires entre hommes et femmes a contribué à les diminuer.
6. Un index égalité professionnelle à revoir
Selon les derniers chiffres du HCE (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes), seules 1 % des entreprises sont assujetties à l’index de l’égalité professionnelle créé il y a cinq ans. « C’est une excellente idée, mais ce n’est pas un indicateur pertinent, explique Dominique Meurs. Parce qu’il est mal construit, il exclut par exemple les primes (comme celle de poste et de nuit) dans le calcul des revenus alors que, très souvent, elles vont creuser les écarts. Dans la branche énergie, si vous prenez le salaire de base, il n’y a quasiment aucun écart. Si vous prenez la rémunération totale, y compris les primes, vous allez retrouver un fossé de 10 à 20 % car hommes et femmes n’occupent pas les mêmes postes. Pour les entreprises, il est facile d’obtenir de très bons résultats à cet index. »
L’économiste pointe aussi la lourdeur du travail pour les RH. « Les procédures sont aussi susceptibles d’être faussées. Il aurait fallu externaliser la réalisation de cet index, qu’il soit du ressort de l’Insee ou d’un service public, de façon à ce qu’il soit plus crédible. »
7. L’impact décevant de #MeToo dans le monde du travail
Les biais sexistes sont loin d’avoir disparu comme le rappelle l’économiste. « La chercheuse Linda Babcock a étudié les conséquences des tâches « non promouvables » qui retombent systématiquement sur les femmes : organiser un pot de départ, accueillir les nouveaux arrivants… Ces tâches sont indispensables, mais réalisées au détriment de leur carrière. »
Si #MeToo a abouti à la prise de conscience de climats intolérables, la réaction n’a pas été celle attendue. « Dans ces situations, l’économiste Caroline Coly envisageait deux réactions, raconte Dominique Meurs : soit les femmes se manifestaient dans l’entreprise, en protestant ou en allant voir les syndicats, soit elles la quittaient en réalisant que c’est insupportable. Ce deuxième effet l’a hélas emporté. Elles ont préféré aller dans des secteurs moins toxiques. »
À cet égard, l’économiste juge ce qui se déroule en ce moment dans le milieu du cinéma « extrêmement intéressant. Mais est-ce que ces prises de parole vont avoir des conséquences sur le long terme ? Je ne sais pas. Une évolution passera par une intervention des entreprises, des syndicats mais aussi des pouvoirs publics ».