Militer, pour elle, c’est plus qu’un verbe. C’est un devoir moral. Doriane n’a pas encore 20 ans, mais ses engagements sont multiples. « Complémentaires ! » tient-elle à préciser. Entre ses cours d’histoire, qu’elle suit à l’université Jean-Jaurès de Toulouse (Haute-Garonne), elle est de toutes les actions qui répondent à ses valeurs : « Justice, égalité, climat ». Depuis plus d’une année, elle participe aux actions de protestation contre l’autoroute A69 Toulouse-Castres et défile en soutien de la Palestine. La semaine suivant notre entretien, elle entend aussi être de celles et ceux qui se rassembleront sur la place Saint-Cyprien de la Ville rose pour dénoncer toutes les violences de genre. « Le monde dans lequel nous vivons est triste et laid, se désole-t-elle. L’inaction est une faute. »
Au mois de juin dernier, la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée, c’est ce même raisonnement qui l’a amenée à s’engager auprès du Nouveau Front populaire (NFP). À l’époque, certains de ses camarades de promo tentent de l’amener à tracter pour Hadrien Clouet, député FI de la 1re circonscription de Haute-Garonne. Mais elle fait un autre choix. « Je ne voulais pas aider uniquement une personne ou un parti, mais tout le NFP, se souvient-elle. J’ai donc pris deux semaines pour tracter dans le plus d’endroits possibles. »
Des milliers de nouveaux militants
Aiguillée par une amie, elle rejoint le dispositif « Circos pivots » via le réseau social Instagram. Le principe : « Des citoyens volontaires sont envoyés dans des circonscriptions proches afin de soutenir les équipes de campagne locales. » C’est ainsi qu’elle participe à un porte-à-porte à Cugnaux, à trente minutes de Toulouse, ou à un tractage à Baraqueville, dans l’Aveyron. « J’ai toujours eu une réticence à participer à des actions de partis politiques, avoue Doriane. Les divisions à gauche m’avaient amenée à ne pas privilégier ces options, je me disais : laisse-les jouer dans leur coin. Mais cette fois-là, il y avait un air de ”mobilisation générale”. »
Une expérience qui l’a définitivement fait adopter l’étiquette de « militante », qu’elle revendique désormais. « Mais sans parti fixe pour le moment, se marre-t-elle. Autour de moi, beaucoup d’amis ont rejoint des partis. Moi, je n’ai pas encore fait mon choix, je les accompagne dans différentes actions, mais je pense choisir ma maison pour défendre un candidat et un projet en 2027. » Reste qu’elle prévient : sa méfiance vis-à-vis des partis est encore grande.
Comme ses amis, ils ont été nombreux, à partir des législatives, à prendre la direction des partis politiques traditionnels pour préparer et mener les combats de demain. En dehors de la FI, qui a communiqué avoir enregistré près de 20 000 nouveaux sympathisants, les autres partis disent chacun comptabiliser plus d’un millier de membres supplémentaires. Jusqu’à permettre au PCF de revendiquer près de 50 000 adhérents. Même chose pour les socialistes (47 000). Tandis que les écologistes affichent désormais 18 000 membres, un record pour la maison verte. La FI, elle, dit avoir en son sein près de 400 000 membres. Différence notable pour cette dernière : l’adhésion se fait au prix d’un simple clic sur son site Internet, au contraire des autres partis, qui demandent une cotisation.
« Les législatives ont réveillé une conscience politique qui sommeillait »
À 27 ans, Manon Delorme, ouvrière dans l’agroalimentaire, n’est pas une nouvelle militante. Depuis bientôt cinq ans, elle est engagée auprès du PCF des Alpes-Maritimes. « Je suis la cinquième génération de communistes ! » rapporte-t-elle, fière. Désormais en charge de la commission jeunesse, entreprises et lieux de travail de sa fédération, elle n’en est plus seulement une cheville ouvrière, mais une cadre. Ce qui lui permet d’observer avec intérêt les motivations des derniers venus.
« Si je me suis engagée, c’est parce que j’avais une grande conscience politique. Le parti m’a offert un espace où la développer et l’exprimer, et je l’ai saisi en m’y investissant complètement, détaille-t-elle. Mais désormais, les nouveaux militants s’engagent pour des raisons quasiment inverses. Si les élections législatives ont réveillé une conscience politique qui sommeillait, ils voient davantage le parti comme un bonus. Ils ont moins de temps à consacrer. »
D’autant que les voies possibles pour porter le combat idéologique sont multiples. Dans l’espace public, par les partis bien sûr, mais aussi par les associations, les syndicats ou les divers collectifs citoyens, mais également depuis chez soi, par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Que ce soit en partageant des contenus ou en signant des pétitions en fonction des causes du moment. « Avec un seul contenu, on peut toucher beaucoup de monde, fait remarquer Mathilde Caillard, activiste écologiste aux 67 000 abonnés sur Instagram. Quand je produis du contenu à vocation militante, le but c’est d’armer d’arguments les personnes qui le réceptionnent. Libre à elles ensuite de convertir cela en engagement de terrain. »
Il faut donc aux partis réagir et « adapter » leur mode de fonctionnement en proposant des actions plus dynamiques, novatrices, insolites et penser une stratégie numérique pour mener la bataille culturelle en ligne. Récemment, Manon et ses nouveaux camarades ont par exemple organisé un faux mariage entre Éric Ciotti, ex-président de LR et local de l’étape, et Marine Le Pen. Le but : dénoncer leur alliance.
« C’est le type d’action qui motive les nouveaux venus et qui nous permet d’interpeller l’attention des gens dans la rue, souligne Manon. Et en plus, en relayant les images, cela nous permet ensuite d’investir les réseaux sociaux et de faire parler de notre message. » Carton plein ! Depuis, une équipe est dédiée aux actions de ce type comme au recrutement de jeunes militants : « On a appelé ça le projet Phénix ! »
Yvette Cesbron, 82 ans, militante communiste de longue date dans l’Oise, plaide également pour renouveler les pratiques militantes grâce aux nouveaux outils. Mais sans oublier le terrain et sa dure réalité, avertit-elle : « Dans le département voisin de l’Aisne par exemple, il y a beaucoup de jeunes en grande difficulté sociale. Il faut aller les voir, considérer leurs problèmes, y répondre, et les amener à construire avec nous une autre société. Ça doit tout de même rester la priorité des militants avant toute chose. »
Une plus grande ouverture
Dans les Pyrénées-Orientales, Antoine Molina, 59 ans, secrétaire de section du PS dans le canton de la vallée de la Têt, a lui aussi accueilli de nouveaux militants enthousiastes. Dans le département, la situation est particulièrement tendue. En 1997, les quatre sièges de député étaient occupés par des personnalités de gauche (trois socialistes et un communiste). En 2012, c’étaient trois socialistes et un UMP. Et depuis 2022, le territoire compte quatre députés Rassemblement national (RN)… Selon lui, la montée de l’extrême droite en pays catalan s’explique simplement.
« Ils sont allés dans la rue et ont parlé aux gens, nous non. Nous nous sommes endormis sur nos lauriers. » D’où le but qu’il affiche désormais, fort de nouvelles forces : « Renouer avec nos anciennes méthodes, redevenir le camp du peuple, ne déserter aucun terrain et aucun sujet, même l’immigration et la sécurité, et apporter des réponses positives ancrées dans le quotidien. Pour être ceux qui entendent et protègent. » Reste une crainte qu’il avoue sans peine : que d’éventuelles divisions au sein du NFP et la déception que cela pourrait provoquer ne fassent voler en éclats cet élan retrouvé.
Pour éviter cela, Noé Gauchard, ex-candidat FI aux législatives dans le Calvados, mise pour sa part sur un militantisme politique qui ne serait pas seulement centré sur le NFP, mais « ouvert » vers l’activisme pour répondre à diverses problématiques : lutte contre les projets écocidaires, les violences policières, les féminicides. « Il faut parvenir à mettre en place des mobilisations en réseau avec les associations et les collectifs centrés sur l’action, sans oublier les syndicats. Les militants sont demandeurs, en particulier les nouveaux. »
Ève, 32 ans, toute nouvelle militante écologiste après avoir mené campagne à Paris pour Léa Balage El Mariky en juin dernier, partage cette attente. « Aujourd’hui, quand on est de gauche, on veut agir sur tous les sujets car tout est révoltant !, dit-elle. Beaucoup se tournent vers l’activisme parce qu’ils veulent agir immédiatement pour remédier à certaines urgences. Aux partis de montrer qu’ils peuvent permettre cela autant que la construction, sur un temps plus long, d’une autre société. » Pour agir à tous les niveaux.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
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