La levée de l’interdiction de pêche dans le golfe de Gascogne, qui s’étend du Finistère à la frontière espagnole, a permis aux 450 bateaux de pêche de plus de huit mètres restés à quai de reprendre le large. Trois mois de fermeture de pêche au premier trimestre et un mois en période estivale pour protéger les dauphins : c’était la demande de France Nature Environnement, Défense des Milieux Aquatiques et Sea Shepherd.
Le Conseil d’État a retenu la période du 22 janvier au 20 février. Cette décision « historique » mais insuffisante pour Sea Shepherd, est fustigée par les pêcheurs, sur fond de tension entre deux visions des écosystèmes marins. « C’est une décision de justice qui ne tient pas compte de la réalité sociale et économique. On va déstabiliser toute une chaîne, par pure vision idéologique », réagit José Jouneau, président du Comité régional des Pêches des Pays de la Loire.
4 000 à 9 000 captures accidentelles de dauphins par an
Pourtant, d’après le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), les captures accidentelles de dauphins augmentent depuis 2016, variant de 4 000 à 9 000 par an en moyenne. « Les niveaux de capture sont supérieurs au taux biologique maximal qu’il ne faut pas dépasser si l’on veut préserver cette espèce protégée à long terme » explique Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques à l’Ifremer, alors que les déclarations de capture, obligatoires pour les pêcheurs français et étrangers, « restent largement insuffisantes ».
José Jouneau le reconnaît : « Le constat est unanime depuis cinq ans. De mémoire de pêcheur, on n’a jamais connu autant de captures accidentelles de mammifères marins. » Mais selon lui, les pêcheurs n’en sont pas responsables : « La flotte du golfe de Gascogne a été diminuée par trois en 25 ans. » Et si les engins de pêches ont changé, les techniques sont les mêmes depuis une quinzaine d’années.
Des évolutions qui pourraient être dues au changement climatique, selon les observations de l’Ifremer, alors que les bancs de petits poissons pélagiques, proies des dauphins, se rapprochent des côtes et des fonds marins. Les dauphins seraient donc contraints à plonger plus près des filets.
Des mesures ont été prises : depuis 2020, les effaroucheurs acoustiques (pingers) sont obligatoires sur les chalutiers français et espagnols. Le Comité des Pêches fait état de 65 % de diminution des captures accidentelles, et « près d’une sortie en mer sur cinq est observée par des scientifiques. »
Quant à la déclaration de capture accidentelle, « s’il y a eu un certain laxisme à prendre cette réalité en compte, elle est respectée à présent », justifie José Jouneau. Des groupes de travail ont également été mis en place : « Nous avons dépensé énormément d’argent public pour équiper les navires, et quand ils devaient partir en mer, le Conseil d’État a décidé de clouer une partie de la flotte le long du quai. D’où l’incompréhension des marins-pêcheurs. »
Des marins-pêcheurs en difficulté
Cette fermeture met d’ailleurs ces derniers en difficulté : « Ce sont les meilleures semaines de l’année. Dans le golfe de Gascogne, c’est la période du bar, de la sole, des espèces à forte valeur ajoutée. En volume, ce n’est pas énorme, mais cela peut représenter jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires de l’année », développe José Jouneau.
La décision de fermeture a « un impact sur toute la chaîne d’approvisionnement » mais « n’empêche pas d’avoir du poisson sur les étals mais d’une autre provenance ». La pêche française, selon le dernier bilan de l’Ifremer, est à 56 % durable. « Il n’y a pas plus encadré en termes de traçabilité et de surveillance », ajoute José Jouneau.
« Cette interdiction, c’est du bricolage, de l’amateurisme, tout simplement. Il n’y a pas de vision en profondeur », fustige le président du Comité régional des Pêches des Pays de la Loire. Des aides publiques devraient compenser 80 à 85 % du manque à gagner causé par la fermeture de pêche, mais leurs contours restent encore à préciser.
D’autant que l’interdiction vient frapper un secteur déjà très aidé et pourtant en crise. « Aujourd’hui, on n’a jamais eu tant de jeunes qui veulent s’installer. On leur dit d’attendre, on ne veut pas les envoyer au casse-pipe. C’est terrible à dire », explique José Jouneau.
Et entre pêcheurs et ONG, le dialogue reste difficile. « Plutôt que de s’affronter sur des débats purement idéologiques, il y aurait dû y avoir une étroite collaboration pour réduire cet impact », déplore le professionnel de la mer. En cause, selon lui, les méthodes de certaines associations, leurs « provocations gratuites ». Du côté associatif, Sea Shepherd dénonce, dans un communiqué du 22 janvier, le refus de dialoguer du Comité des Pêches.
Quant au bilan de ce mois de fermeture de la pêche pour les dauphins, il reste à réaliser. La période hivernale, particulièrement à risque, n’est pas terminée même si l’interdiction est levée.