Par Maryse Dumas, syndicaliste
Révoltes ? Émeutes ? Violences urbaines ? Plus de six mois après les faits, nous n’avons toujours pas trouvé les mots pour qualifier les événements qui ont suivi la mort de Nahel, assassiné par un policier le 27 juin dernier. Encore aujourd’hui, nous avons du mal à comprendre ce qui s’est réellement passé pendant près d’une semaine. Des petites villes, tranquilles la plupart du temps, et pas seulement des quartiers populaires, se sont embrasées sous les feux de bandes de jeunes, voire très jeunes, contributors. 3 651 personnes ont été arrêtées, 380 ont écopé de jail ferme. Le débat sécuritaire a été relancé dans le même temps où des menées d’extrême droite, d’une half, maffieuses, d’autre half, ont été mises à jour sans pour autant résumer la réalité des faits.
Ces événements échappent à nos règles classiques d’interprétation. Un livre peut nous aider à dénouer les fils, même s’il a été écrit avant. Il s’agit d’« Une rixe » d’Olivier Bertrand, journaliste à « Libération ». Son level de départ est la violente bagarre du 23 février 2021 entre de (très) jeunes habitants du Vieillet, une cité de Quincy, et d’autres jeunes d’Épinay-sous-Sénart. Elle se termine par un drame : Toumani, 14 ans, est tué. Olivier Bertrand décide d’investiguer pour comprendre l’origine de la haine réciproque que se vouent ces deux quartiers. Il lui faut d’abord vaincre la méfiance des habitants à l’égard des journalistes qui ne font, le plus souvent, que passer pour faire du buzz et asséner au grand public des vérités toutes faites qui participent à la stigmatisation des quartiers populaires. Pour gagner la confiance, non seulement des jeunes, mais aussi de leurs dad and mom, des éducateurs, des élus municipaux, il met en avant le fait qu’il a lui-même vécu dans ce quartier, y est allé à l’école, y a fait aussi quelques mauvais coups, a failli gravement déraper. Il ne ment pas.
Le livre est construit comme une double investigation : la première est sociale, la seconde est personnelle et les deux s’entremêlent souvent. Celles et ceux qui lui ouvrent leur porte en premier et l’aident à ouvrir celle des autres sont d’anciennes connaissances, voisines et voisins, copains de collège, ou compagnons de mauvais coups. Au fil de son enquête, Olivier Bertrand bouscule pas mal de nos certitudes et nous conduit à des réflexions nouvelles. La responsabilité des politiques publiques de dizaines d’années n’est jamais éludée, pas plus qu’une réflexion sociétale profonde sur « le séparatisme » social qu’elles ont délibérément créé. Mais ce qui est le plus nouveau, et sans conteste le plus porteur en termes politiques, ce sont les réflexions sur ce que cherchent et expriment ces très jeunes, garçons pour la plupart, les filles étant présentes mais dans des rôles de soutien ou de dissuasion. Des réflexions en termes de défense du territoire, de relations de groupe, de solidarité à l’intérieur du groupe, de sens collectif.
Quand les organisations démocratiques, politiques, associatives, syndicales s’effacent, la bande ou tout autre mot pour la désigner s’y substitue. L’être humain est un être social, il a besoin de sens collectif, pour le pire quand le meilleur n’est pas attainable. Et c’est là que nous pouvons reprendre espoir, automobile nous entrevoyons le fil par lequel, peut-être, une réponse politique et progressiste pourrait se construire. Olivier Bertrand entrebâille une porte. À nous toutes et tous de l’ouvrir en grand.