Étendards rouges sur fond vert de la pyramide de gazon et de verre, la centaine de drapeaux flottant devant Bercy a de quoi trancher avec la grise muraille du ministère de l’Économie et des Finances qui se dresse en face. Ce mercredi 22 janvier est un jour de lutte. Les fédérations chimie, métallurgie, énergie, construction, verre et céramique, commerce, organismes sociaux et du livre (Filpac) de la CGT avaient appelé les salariés touchés par les plans sociaux en cours, menaçant 300 000 emplois, à manifester leur colère.
Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Le gouvernement restant passif face à cette casse sociale, les syndicats ont décidé de secouer le ministère en charge de l’Industrie, avec son Ciri (comité interministériel de restructuration industrielle), chargé de venir en aide aux sociétés de plus de 400 salariés en difficulté et qui en font la demande.
« Le ministre de l’Industrie a dit qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement »
« Dans nos 11 branches professionnelles de la chimie, nous comptons plus de 70 plans antisociaux. Antisociaux, persiste et signe Serge Allègre, secrétaire général de la Fnic CGT. Car, mes camarades, une bonne fois pour toutes, ne parlons plus de plans sociaux, car qu’y a-t-il de social dans un PSE si ce n’est la destruction de nos vies, de nos familles ? »
Micro en main au centre du barnum dressé pour l’occasion, le cégétiste de la chimie peste contre les coups de boutoir portés aux travailleurs de l’industrie. De fait, en deux décennies, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 14 % à 9 % selon la Banque mondiale. « Cela représente 1 million d’emplois directs perdus en France dans l’industrie sur la même période », estime-t-il, exigeant l’arrêt de tous les plans « antisociaux » et l’interdiction de tous les licenciements.
Valeo, Auchan, Michelin… la liste noire des suppressions de postes s’allonge chaque jour. Ce mardi, Arkema, multinationale tricolore de la chimie, a annoncé envisager de supprimer 154 des 344 postes de son usine de Jarrie, en Isère, prétextant que cette décision est la conséquence de la mise en redressement judiciaire de son fournisseur Vencorex.
Pourtant, dénonce au micro Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, « Arkema pouvait reprendre l’activité et faire en sorte que Vencorex ne tombe pas, mais elle n’a pas voulu négocier les prix de la matière première. Maintenant, elle se sert de ce qui nous arrive pour faire croire qu’elle n’a d’autre choix que de fermer son site ».
La représentante des salariés dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire est chaudement applaudie par les manifestants, en hommage à la longue lutte de soixante-trois jours des travailleurs de l’usine du Pont-de-Claix. « Nous avons signé un protocole de fin de grève en pensant que nous avions suffisamment mis le bazar pour être entendus à Paris. Mais, dès la reprise du travail, plus personne ne s’est soucié de notre sort, lâche la syndicaliste amère. Quand nous avons rencontré le ministre de l’Industrie, la seule chose qu’il a été capable de nous dire est qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement. »
Sophie Binet dénonce « l’hypocrisie » du gouvernement
Au-dessus de Bercy, les nuages gris s’amoncellent. Le millier de personnes massées écoutent Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, dénoncer « l’hypocrisie » du gouvernement, rappelant que son organisation avait déjà remis en octobre à Michel Barnier, chef du gouvernement de l’époque, la liste des 200 plans de licenciement en cours dans l’Hexagone.
« En janvier, nous avons rencontré le nouveau premier ministre, François Bayrou, et nous lui avons également remis la liste des plans qui s’élèvent désormais à 300. Mais, dans son discours de politique générale, il n’a pas dit un mot sur la question des licenciements en cours. Combien faudra-t-il de premiers ministres pour avoir enfin un gouvernement qui ait le courage d’affronter les multinationales ? » s’agace-t-elle.
Dans ce contexte de licenciements, le rassemblement parisien du jour sert aussi à regonfler le moral des personnes en lutte. Thomas Launay, délégué syndical CGT de l’entreprise française de fabrication d’articles de caoutchouc pour l’industrie automobile Paulstra Hutchinson à Segré (Maine-et-Loire), se fond parfaitement dans cette foule de corps multicolore.
Avec deux autres collègues, le quadragénaire a pris le train pour Paris aux aurores pour participer à la mobilisation. Son site n’est pas directement menacé pour l’heure mais il est venu vivre ce moment « qui régénère ». Les sourires sont nombreux. Les rires aussi. « Continuer de danser encore », crache une enceinte posée sur un camion. Les grévistes n’attendent plus passivement des réactions de Bercy. Tout va à point à qui sait prendre.
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