« La information a mauvaise presse, mais il n’y a pas que la information au service de la surveillance ou des Gafam, il y a aussi la information au service des politiques publiques ». Promis, il ne s’agit pas de techno-solutionnisme : celui qui vient de prononcer cette phrase n’est même pas informaticien mais vient du social. Frédéric Frénard est chargé de mission pour l’affiliation Résovilles, une construction qui apporte des outils aux élus et fonctionnaires qui travaillent dans les 78 quartiers prioritaires de Bretagne et des Pays de la Loire.
Dans les locaux de l’affiliation, à Nantes, face à l’ancien port et aux Machines de l’île, Frédéric et son collègue Maxime détaillent leur travail. « Croiser des données qui parlent toutes d’une même zone géographique permet de comprendre des choses que les statistiques ne montrent pas. » Dans les quartiers prioritaires par exemple, on sait que 8 à 12 % des habitants changent de logement chaque année. Mais au bout de dix ans, est-ce que toute la inhabitants a été renouvelée ? Ou est-ce que ce sont toujours les derniers arrivants qui repartent ? Est-ce un quartier « sas », ou un quartier « nasse » ? Un quartier dont les habitants deviennent aisés et le quittent ne s’appréhende pas de la même façon qu’un quartier qui mène vers plus de pauvreté.
“L’utilisation des données permettrait d’être plus objectif”
En mars 2022, Résovilles publie un livre blanc nommé « Knowledge & Quartiers ». Le résultat de trois années d’expérimentation qui prouve que les données des quartiers prioritaires peuvent être mobilisées pour comprendre les dynamiques sociales de ces ensembles. En récupérant les données de Pôle emploi, des agences régionales de santé, de bailleurs sociaux mais aussi d’organismes privés, comme Randstad ou Harmonie Mutuelle, les brokers ont obtenu des informations d’une précision distinctive, tout en respectant l’anonymat des citoyens.
Ils montrent qu’on peut connaître le nombre de personnes qui ne demandent pas la complémentaire sociale et solidaire au sein d’un immeuble, sans demander d’informations personnelles. Des brokers pourraient ainsi cibler une résidence où l’info sur les minima sociaux est nécessaire. Il est aussi potential de savoir quels sont les emplois recherchés par les habitants d’un quartier et de vérifier à combien de kilomètres se trouvent ces emplois sans enquête de terrain. Uniquement en croisant des informations déjà existantes et actualisées régulièrement par des entreprises et des acteurs publics locaux. Résultat : « On s’est rendu compte que la resolution n’est pas toujours d’amener les habitants vers le permis à tout prix », observe Frédéric Frénard.
On peut connaître le nombre de personnes qui ne demandent pas la complémentaire sociale et solidaire à l’échelle d’un immeuble.
Lorsque ces résultats sont présentés aux élus locaux, ailleurs en France, leurs yeux s’agrandissent. « J’ai été totalement convaincue », admet Magalie Touet, adjointe à la ville de Bédarieux et présidente de Villes et Territoires, l’alter ego de Résovilles en Occitanie. « Aujourd’hui, on ne sait pas évaluer les flux et l’impression de nos politiques lorsque les populations sont en mouvement. Plus on en fait et plus on a l’impression que rien ne change. Mais l’utilisation des données permettrait d’être plus objectif. De voir ce qui est vraiment efficace et d’être au plus près des besoins réels des habitants. »
Nouvelle carte, vieux chiffres
Que fait l’État de ces avancées ? Depuis le 1er janvier, une nouvelle carte des quartiers prioritaires de la ville a justement été dessinée par le gouvernement. C’est l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui a la lourde tâche d’en définir les contours. Pour cela, les fonctionnaires de l’agence créée en 2020 discutent avec les élus locaux et s’appuient sur les bilans des précédents « contrats de ville ». Ces paperwork recensent de nombreux chiffres pour essayer de comprendre, de définir une logique. Chaque quartier est différent, mais il faut bien des métriques communes pour essayer de tout juger depuis les quelques rues parisiennes hébergeant les ministères de l’État.
Taux de pauvreté, réussite au brevet, nombre de logements sociaux, taux d’emploi chez les femmes et les hommes sont autant d’informations reprises des enquêtes de l’Insee et rassemblées dans l’« Atlas des QPV ». Une bible de plus de 300 pages qui permet de voir d’un coup d’œil le décrochage d’un quartier par rapport au reste de son environnement. « Sauf que ces bilans sont truffés de données qui datent d’avant 2017, d’avant même le début des précédents contrats de ville qui sont censés être évalués », assène Jacques Priol, président de l’Observatoire Knowledge Publica et corédacteur des travaux « Knowledge & Quartiers » de Résovilles. « Pour forcer le trait, on peut dire que l’Insee met cinq ans à refaire ses données à l’échelle du pays. Les données locales permettent d’observer les politiques de la ville immédiatement et de s’adapter. »
Les échanges de données entre acteurs locaux permettent un pilotage plus précis des politiques sociales.
Les croisements de données de Résovilles ont d’ailleurs montré que la crise sanitaire avait eu un impression plus essential dans les quartiers. « En Bretagne, les QPV sont systématiquement situés au cœur des zones dans lesquelles le risque de fragilité face au Covid est le plus fort », précisaient-ils en 2022. En d’autres termes, les QPV bretons comptent plus de personnes sous traitement antidiabétique, antiasthmatique ou sujettes à d’autres comorbidités dangereuses en cas de Covid que la moyenne régionale.
Un outil du XXIe siècle boudé par l’Etat
C’est là que l’on comprend la différence entre statistiques et données. Pour le rapport de la fee nationale chargée de la réflexion sur les contrats de ville, paru en avril 2022, l’expérimentation de Résovilles est « une méthodologie rigoureuse, généralisable, (…) dotant la politique de la ville des outils du XXIe siècle ». Bref, ces échanges de données entre acteurs locaux fonctionnent, donnent des résultats et permettent un pilotage plus précis des politiques sociales.
L’État en est conscient. Lors de la publication des résultats de Résovilles, les représentants de l’affiliation sont invités par l’ANCT, qui avait financé l’expérimentation, puis par plusieurs ministères qui saluent le travail accompli. Une point out des données est même faite parmi les 14 mesures recensées à la sortie du dernier comité interministériel de la politique de la ville, en octobre 2023. « Faire de la information science un outil de connaissance territoriale et de territorialisation des politiques publiques au bénéfice des quartiers ».
« Une fois que l’État a dit ça, il n’a rien dit », juge pourtant Nathalie Gosselin, présidente de Résovilles et adjointe au numérique à La Roche-sur-Yon. « Tout le monde nous a dit que notre travail était tremendous. Et puis, c’est tout. Ça s’est arrêté là. Ce n’est pas un rendez-vous manqué, c’est plutôt que les choses sont longues à mettre en place. Il manque un maillon entre l’État et les territoires pour déployer ces nouveaux outils. »
La peur d’un mauvais utilization des données reste la norme dans le inhabitants et chez les fonctionnaires.
L’ancienne directrice de l’affiliation, Émilie Sarrazin, aujourd’hui directrice régionale de l’affiliation les Petits Frères des pauvres, parlait même de « douche froide » en réalisant qu’aucun financement ne viendrait soutenir les félicitations. Résovilles ira sans doute former quelques-uns de ses alter ego dans d’autres régions mais ce sera du cas par cas, sur les deniers des régions et des autres collectivités locales.
Une méthode qui essaime
Une douche froide d’autant plus incompréhensible que les résultats de l’affiliation bretonne et ligérienne ne sont pas seulement des preuves de idea sur la couverture sociale ou les trajets domicile-travail. C’est avant tout une méthode qui enseigne remark partager des données entre acteurs. Que ce soit les caisses d’allocation familiales, les antennes France Travail, les préfectures, mairies et même acteurs privés, tous peuvent trouver un intérêt à partager leurs informations au service des politiques sociales des quartiers.
Problème : la tradition du partage des données informatiques ne va pas de soi. La peur d’un mauvais utilization des données reste la norme dans la inhabitants et les fonctionnaires. C’est à cela que répondait le programme « Knowledge & Quartiers ». Les auteurs s’étaient accompagnés de juristes qui ont imaginé de nouvelles règles à intégrer dans l’motion publique. Des « clauses information » pour faire de l’échange de données entre acteurs publics et privés, pour l’intérêt général, et pas celui de quelques sociétés multinationales.
« Le programme ”Knowledge & Quartier” a tout de même fait bouger les choses, nuance Jacques Priol. Il y a cinq ans, la présentation du projet aurait encore fait crier Huge Brother ! Aujourd’hui, on peut dire que la donnée va servir à la connaissance et la reconnaissance des quartiers sans qu’il soit query de vidéosurveillance, Google et compagnie. Le problème, c’est que tout cela est très différent de la imaginative and prescient d’un État centralisateur, qui veut tout homogénéiser depuis Paris. Il est incapable de soutenir le déploiement de ce qu’il considère comme une initiative locale. »
Plus le temps d’attendre
Ceux qui travaillent dans les quartiers prioritaires, eux, n’ont pas le temps d’attendre. « Des promesses de généralisation de ces outils ont été faites mais rien n’est venu derrière, moi je n’attends plus », lance Cécile Nonin, pour Villes et Territoires à Montpellier. En 2024, son centre de ressources va répliquer la méthode de Résovilles et croiser les données des bailleurs sociaux, de la CAF et des collectivités locales.
À Nantes, Frédéric et Maxime croisent d’autres données. Leur nouveau projet : identifier les vulnérabilités des QPV au dérèglement climatique. « Tout le monde subit les canicules mais les quartiers sont souvent des zones très minérales où se concentrent des populations peu informées et à risque, expliquent déjà les deux collègues. On cherche à être rationnel. Certains quartiers ont des espaces verts mais plus de populations fragiles. Ailleurs, les parcs ne sont pas utilisés. » En confirmant ou infirmant les idées reçues des riverains comme des élus, les données permettent finalement plus de nuance qu’une statistique perdue dans un tableau Excel.