Autant commencer par ce qu’il ne contient pas. Pas une seule mesure du projet de loi sur la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui arrive ce mardi 14 mai à l’Assemblée nationale, ne concerne le revenu des agriculteurs et les prix planchers. C’était pourtant la principale revendication des producteurs lorsqu’ils bloquaient les nombreuses autoroutes sur le territoire, cet hiver.
Prévu à l’automne 2023 avant d’être présenté une première fois à la presse en décembre et remanié à la suite de la crise agricole, le texte devait donner des gages sur l’adaptation de la profession aux aléas climatiques, le renouvellement des futures générations et renforcer la rémunération des agriculteurs.
Mais la copie de Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, peine à convaincre du côté des paysans. « Telle qu’elle arrive à l’Assemblée, cette loi d’orientation agricole n’est qu’une fuite en avant vers la disparition des fermes, la financiarisation des terres et des pratiques agricoles à rebours de l’urgence écologique », avertit Astrid Bouchedor, responsable de plaidoyer de Terre de liens.
Un clin d’œil à la FNSEA et aux Jeunes agriculteurs
La militante sonne le tocsin. Sur le volet climatique, le projet de loi ne prévoit rien de moins qu’un renoncement aux progrès réalisés jusqu’à présent. Cette tendance était déjà claire avec le remaniement du plan Écophyto. Désormais, sous prétexte d’assouplissement pour faciliter le quotidien des agriculteurs, les mesures visant à préserver l’environnement sont supprimées les unes après les autres : l’article 13 du texte prévoit de transformer des sanctions pénales en sanctions administratives en cas d’atteinte à l’environnement ou à la biodiversité.
Dans cette même logique, l’article 14 contribue à rendre possibles de futures dérogations pour l’arrachage des haies. D’aucuns y verront un clin d’œil aux coups de boutoir répétés de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs contre les normes environnementales lors des longues semaines de négociations à bâtons rompus avec l’Élysée et Matignon.
Concernant le renouvellement des générations, le député Pascal Lecamp (Modem) a amendé le texte pour que le seuil des exploitations ne descende pas en dessous de 400 000 à l’horizon 2035. En réalité, la mesure a tout d’un effet de manche puisque cela « revient à maintenir le nombre actuel d’agriculteurs », dénonce Terre de liens.
Un cocktail de mesures de libéralisation de l’agriculture
Signe que ce projet ne convient à personne, à l’exception des acteurs de l’agrobusiness, les députés de l’opposition ont profité de l’examen du texte en commission pour infliger un camouflet à l’exécutif en rejetant l’article 12. Ce dernier favorisait la création de groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI), des structures permettant de lever de l’argent auprès d’investisseurs publics ou privés afin d’acheter des terres et de les louer à de nouveaux agriculteurs en difficulté financière. « Cette mesure n’est rien d’autre qu’un accaparement offert aux financiers avec des avantages fiscaux à travers ce dispositif. C’est du jamais-vu », s’étonne Aurélie Trouvé, députée FI qui a voté contre cet article.
En l’état, le contenu du projet de loi est un cocktail de mesures de libéralisation de l’agriculture. Et dans sa course à la prétendue simplification (comme les plateformes France Travail pour les demandeurs d’emploi ou France Service pour les démarches administratives), le gouvernement a jugé bon de créer le réseau France Services agriculture, un guichet unique délégué aux chambres départementales d’agriculture pour les futurs exploitants agricoles porteurs de projet.
Si les agriculteurs réclament en effet un allègement de leurs démarches administratives, cette proposition risque d’entraver les nouveaux paysans ne trouvant pas de réponse adéquate au sein des chambres d’agriculture. « La crainte est de verrouiller les démarches des porteurs de projet à l’installation et d’exclure les acteurs alternatifs », alerte Astrid Bouchedor, du mouvement associatif et citoyen Terre de liens. Autrement dit de rendre encore plus difficile l’accès aux terres pour des agriculteurs soucieux des modèles familiaux ou écologiques. « Avec la création de France Services agriculture, on va accroître les prérogatives d’un acteur unique », poursuit-elle. Autant de raisons qui devraient pousser les députés de gauche à ne pas voter ce texte de loi.
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