Elles façonnent depuis des siècles la mosaïque des bocages, serpentant entre les parcelles. Indispensables aux campagnes et caractéristiques des paysages ruraux, les haies sont pourtant aujourd’hui menacées. Selon l’Office français de la biodiversité, les régions bocagères ont perdu environ 70 % de leurs haies en mètres linéaires depuis les années 1950.
Est-ce ce constat qui a conduit le gouvernement à légiférer sur ces délimitations faites d’arbres, d’arbustes et de ronces ? Au lendemain des premières manifestations de la colère paysanne, il y a un an, le gouvernement Attal et son ministre de l’Agriculture d’alors, Marc Fesneau, s’étaient en effet fendus d’un projet de loi pour répondre aux difficultés des agriculteurs, dédiant un article entier à ces murs de verdure. Non pour les protéger, mais pour alléger les sanctions en cas de destruction.
La biodiversité victime d’un assouplissement des contraintes
La loi prévoit ainsi de simplifier les réglementations qui encadrent l’entretien et l’arrachage de haies. Celles-ci dépendent en effet aujourd’hui de plusieurs textes. Des plans locaux d’urbanisme, spécifiques à chaque commune. Mais aussi du Code de l’environnement, qui interdit la destruction d’habitat d’espèces protégées, ainsi que de la politique agricole commune qui conditionne ses aides au maintien des haies existantes et à l’interdiction de coupes lors de la période de nidification des oiseaux.
Aujourd’hui, les contrevenants s’exposent à des peines d’emprisonnement de trois ans, 150 000 euros d’amendes et à la réduction des aides de la PAC. Le projet de loi du gouvernement, s’il est adopté, reviendrait toutefois sur ces peines : la destruction des haies ne deviendrait un délit que si elle est intentionnelle, et des mesures administratives, comme des stages de sensibilisation, remplaceraient les sanctions pénales. « Ces dispositions envoient le signal qu’il n’est pas grave de détruire l’environnement, alors que ça va à l’encontre de notre intérêt. Nous sommes assez choqués », analyse Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne.
Les haies, un obstacle pour les machines agricoles et les exploitations démesurées
Le projet de loi entend ainsi répondre aux suppliques de certains syndicats agricoles – la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale (CR) – qui s’attellent fréquemment à réclamer un assouplissement dans les contraintes environnementales. Interrogée par l’Humanité, Véronique Le Floc’h, présidente de la CR estime qu’il faut se fier « au bon sens » des agriculteurs en matière de préservation des haies, regrettant que « tout puisse donner lieu à un contrôle aujourd’hui ».
Pour les agriculteurs réfractaires à la plantation et à l’entretien de haies, les inconvénients de ces écrans végétaux sont nombreux. Ils attireraient les oiseaux qui picoreraient les récoltes, exposeraient les producteurs à d’incessants contrôles et gêneraient le passage des machines agricoles, touchées par le gigantisme dans les grandes exploitations céréalières. « La FNSEA s’appuie sur ces arguments parce qu’ils ont supprimé les haies lors du remembrement pour faire passer des engins aux tailles démesurées. Mais, dans le modèle d’exploitations familiales que nous défendons, les haies ne sont pas du tout un problème, au contraire », réagit Sophie Bezeau, directrice du Modef.
Si le Modef n’est pas complètement opposé à l’instauration de mesures de prévention avant d’appliquer des sanctions, la loi pourrait toutefois faciliter les pratiques illégales. Pourtant, les haies regorgent de bienfaits, tant pour le travail agricole que pour la protection de la biodiversité. Elles abritent nombre d’espèces, du lapin de garenne aux abeilles en passant par les passereaux, conservent l’humidité et coupent le vent. « Les haies aident l’eau à s’infiltrer, elles évitent les inondations, elles génèrent des microclimats favorables aux cultures sur les parcelles jusqu’à 4 hectares », détaille Philippe Hirou, président du Réseau Haies France.
Pour ce spécialiste, maintenir des haies en bonne santé est indispensable : « Nous perdons en moyenne 23 000 mètres linéaires de haie par an, en premier lieu à cause des agrandissements d’exploitations et des pratiques d’entretien dégradantes. » Modifier la réglementation n’est pas le levier idéal pour inverser la tendance, estime-t-il. « Nous pensons qu’il est plus efficace de redonner une valeur économique aux haies afin d’inciter les agriculteurs à ne plus les voir uniquement comme une contrainte et à les maintenir. »
C’est le sens de la proposition de loi portée par le sénateur écologiste Daniel Salmon, proposant un crédit d’impôt aux agriculteurs gérant durablement leurs haies. À contre-courant du texte concocté par le gouvernement, celui fixant l’objectif de la plantation de 100 000 kilomètres de haies supplémentaires d’ici à 2050 a été voté à l’unanimité en première lecture, jeudi 30 janvier.
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