« Pas d’interdiction sans solution » en matière de pesticides, avait décrété le premier ministre, Gabriel Attal, en réponse aux manifestations des agriculteurs en début d’année. Vendredi 15 mars, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a lancé un cycle de réunions visant à trouver des « solutions et alternatives aux produits phytosanitaires interdits ».
Ces réunions de travail filière par filière doivent réunir les acteurs institutionnels – administrations, Anses, Inrae, Acta, chambres d’agriculture… – et les représentants de la profession agricole. Une initiative supplémentaire parmi de nombreux dispositifs existants, dont les contours demeurent flous et dont les objectifs inquiètent.
Le ministère à la chasse aux « surtranspositions » de directives européennes
Le ministère affirme vouloir analyser les préoccupations apparues au sein de la profession agricole, « ces dernières semaines », sur de possibles « distorsions de concurrence sur certains usages de produits phytopharmaceutiques ». La France délivrerait moins d’autorisations de mise sur le marché de pesticides que d’autres États membres de l’Union européenne, au désavantage des agriculteurs français.
En cause, d’éventuelles surtranspositions françaises des directives européennes en la matière, à « lever si tel était le cas, dans le cadre réglementaire et de sécurité pour la santé publique et l’environnement », a indiqué le ministère. Une initiative « mal cadrée », selon Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, en charge des questions phytosanitaires, qui souligne également un manque de précision dans les objectifs annoncés.
Le ministère de l’Agriculture déclare envisager plusieurs solutions, notamment réglementaires : stimuler la demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou étendre les autorisations existantes. La Confédération paysanne, qui se positionne en faveur d’une sortie des pesticides, reste disposée à travailler sur l’extension d’homologation à d’autres cultures de certains produits autorisés sur le territoire pour une culture donnée.
En effet, l’homologation sur des cultures peu développées n’est pas réclamée par les industriels pour des raisons de coûts. Mais l’organisation reste fermement opposée à l’augmentation des doses – une demande d’autres syndicats –, notamment de glyphosate : « Il existe des alternatives, explique Sylvie Colas. Mais à 6 euros l’hectare, il n’y a pas moins coûteux que le glyphosate. Il faut accompagner davantage tout ce qui permet de sortir des pesticides, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »
La « reconnaissance mutuelle » va élargir l’accès aux pesticides en France
Un autre levier réglementaire envisagé par le ministère pose question : la reconnaissance mutuelle entre États membres. Lorsqu’il n’existe pas d’harmonisation, la délivrance d’une AMM par un État membre peut valoir pour tous les autres pays répartis dans une même zone en matière d’agriculture. « L’idée est de regarder ce que sont les réalités des différences au niveau européen avec des produits interdits en France qui peuvent être autorisés chez nos voisins », indique le ministère de l’Agriculture. À mots couverts, donc, il s’agirait d’autoriser davantage de produits phytosanitaires.
Le ministère se veut rassurant : « Il ne s’agit pas de réautoriser les produits interdits en France pour des raisons qu’on considère bonnes, on ne reviendra pas là-dessus dans le cadre de ce comité. » La ministre déléguée, Agnès Pannier-Runacher, a rappelé que les solutions envisagées « devront respecter la balance bénéfices/risques sanitaires et environnementaux ».
Pour autant, alors que le plan Ecophyto 2030 a été mis en attente à la suite des manifestations des agriculteurs, le signal envoyé par le gouvernement semble confirmer un recul pour l’environnement. « Entre l’objectif et l’affichage du gouvernement, c’est le grand écart tout le temps : dire qu’on est d’accord pour préserver l’eau et la partager, mais continuer à faire des bassines pour quelques-uns, utiliser des pesticides pour permettre à certains de continuer leurs pratiques délétères… Voilà le problème », résume Sylvie Colas.
Les alternatives envisagées par le ministère révèlent également un mauvais ciblage des difficultés, selon la secrétaire nationale de la Confédération paysanne. Les difficultés des agriculteurs, précise-t-elle, se situent au niveau des revenus : « Il s’agit d’un problème de rémunération du travail. Les cerises françaises ne seront pas mieux vendues avec davantage de pesticides. En Espagne, elles seront toujours cinq fois moins chères, parce que la main-d’œuvre y est à peu près cinq fois moins chère ! » La conclusion est sans appel : « On tire vers le bas les conditions sociales des travailleurs. »