Emmanuel Macron sort du silence après les élections législatives dans une lettre transmise à notre rédaction et à des titres de la presse régionale. Il se dit décidé à laisser “un peu de temps” aux forces politiques de bâtir un compromis. D’ici, là, le gouvernement actuel gérera les affaires courantes, annonce-t-il.
Sa prise de parole était attendue. Dans une lettre adressée aux Français, transmise mercredi à Midi Libre et des titres de la presse régionale, Emmanuel Macron appelle à “bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays”, après les élections législatives qui ont placé le Nouveau Front populaire en tête, très loin de la majorité absolue, mais devant Ensemble et le Rassemblement national.
“Personne ne l’a emporté”, affirme, lui, le chef de l’État, alors que le Nouveau Front populaire (NFP) le somme de “respecter le résultat des élections législatives”, en nommant un Premier ministre issu de cette union de la gauche.
“Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires”, fait valoir Emmanuel Macron.
Des conditions fixées
Emmanuel Macron ferme la porte de Matignon au seul NFP. Défait dans les urnes, le Président n’en espère pas moins encore garder la main et conditionne la nomination d’un Premier ministre à la constitution d’une coalition, dont il dessine les contours, en excluant, de fait, les extrêmes, le RN et LFI.
“Seules les forces républicaines représentent une majorité absolue”, souligne-t-il.
“Je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays”, précise-t-il.
“Cela suppose de laisser un peu de temps”
“C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine”, précise-t-il, écartant, dans sa posture de maître des horloges retrouvée, la perspective d’un dénouement rapide.
Ce message a été adressé aux Français, mercredi, à 16 h 45, alors qu’Emmanuel Macron était dans son avion, attendu, une heure plus tard, au sommet de l’Otan, à Washington.
Le chef de l’État avait refusé d’annuler ce déplacement important aux États-Unis, malgré l’incertitude dans laquelle est plongé le pays depuis dimanche. Mais il ne pouvait garder le silence plus longtemps face à cette classe politique morcelée, lancée dans un nouveau sauve-qui-peut général.
Quelle coalition ?
Alors que François Bayrou (MoDem) pousse pour une alliance avec une partie de la gauche, une partie du camp présidentiel souhaite désormais un rapprochement avec LR, à l’image d’Édouard Philippe (Horizons). Emmanuel Macron propose, lui, une coalition plus large.
Les députés Renaissance appellaient, d’ailleurs, quelques heures plus tôt, à une coalition de projet allant des sociaux-démocrates à la droite de gouvernement.
La gauche tente toujours de présenter un front uni. Mais la plupart des formations politiques se lézardent désormais, jusqu’au parti présidentiel. La rupture est déjà actée pour certains députés, à l’image de Sacha Houlié qui ne siégera pas dans le groupe Renaissance, fait savoir son entourage.
De nombreux députés Renaissance n’avaient pas encore émargé, mercredi, dans l’attente du cap choisi par le camp présidentiel.
Ce message d’Emmanuel Macron a été fraîchement accueilli, pour l’heure, par la classe politique, qui en était la principale destinataire.
La gauche s’insurge
“Emmanuel Macron propose de faire barrage à LFI qu’il a contribué à faire élire il y a trois jours et grâce à qui les députés Renaissance ont été élus, il y a également trois jours”, pointe Marine Le Pen. “Le Président refuse de reconnaître le résultat des urnes”, fustigent Marine Tondelier (Écologistes) et Jean-Luc Mélenchon (LFI). “Emmanuel Macron organise la paralysie du pays”, accuse, même lui, Jordan Bardella (RN).
“Personne n’a gagné, c’est pour ça qu’on est dans ce foutoir”, réagit le maire de Béziers, Robert Ménard. “Moi je sais qui a perdu”, rétorque Olivier Faure (PS), alors que la France s’enfonce dans un épais brouillard depuis la dissolution qui était censée apporter une “clarification”.
Selon un sondage Elabe/BFMTV, publié mercredi, 74 % des Français considèrent désormais la France “ingouvernable”.
Voici l’intégralité de la lettre adressée, mercredi 10 juillet, aux Français par le président de la République, Emmanuel Macron :
“Chères Françaises, chers Français,
Les 30 juin et 7 juillet derniers, vous vous êtes rendus aux urnes en nombre pour choisir vos députés. Je salue cette mobilisation, signe de la vitalité de notre République dont nous pouvons, me semble-t-il, tirer quelques conclusions.
D’abord, il existe dans le pays un besoin d’expression démocratique. Ensuite, si l’extrême-droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement. Enfin, personne ne l’a emporté. Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires.
Divisées au premier tour, unies par les désistements réciproques au second, élues grâce aux voix des électeurs de leurs anciens adversaires, seules les forces républicaines représentent une majorité absolue. La nature de ces élections, marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir, les oblige à bâtir un large rassemblement.
Président de la République, je suis à la fois protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix.
C’est à ce titre que je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays.
Les idées et les programmes avant les postes et les personnalités : ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d’un projet pragmatique et lisible et prendre en compte les préoccupations que vous avez exprimées au moment des élections.
Elle devra garantir la plus grande stabilité institutionnelle possible. Elle rassemblera des femmes et des hommes qui, dans la tradition de la Ve République, placent leur pays au-dessus de leur parti, la Nation au-dessus de leur ambition.
Ce que les Français ont choisi par les urnes – le front républicain, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes.
C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilitéspuis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine.
Plaçons notre espérance dans la capacité de nos responsables politiques à faire preuve de sens de la concorde et de l’apaisement dans votre intérêt et dans celui du pays. Notre pays doit pouvoir faire vivre, comme le font tant de nos voisins européens, cet esprit de dépassement que j’ai toujours appelé de mes vœux. Votre vote impose à tous d’être à la hauteur du moment. De travailler ensemble.
Dimanche dernier, vous avez appelé à l’invention d’une nouvelle culture politique française.
Pour vous, j’y veillerai. En votre nom, j’en serai le garant.
En confiance.
Emmanuel MACRON”