Et soudain, tout s’arrêta et le noir survint. Un instant suspendu, miraculeux en tant que genre sous le grand chapiteau bondé. Une coupure d’électricité, un public concerné, des chants a cappella, spontanément entonnés, durant de longues, très longues minutes.
Pour les 120 ans du journal de Jaurès, le concert d’ouverture des Ami·e·s de l’Humanité était une vraie création, menée de main de maître par Philippe Dutheil et son groupe, les Grandes Bouches : « Dès qu’il y a eu des luttes, il y a eu des chansons !, 120 ans d’Huma, 120 ans de chansons. »
Une trentaine de titres du grand répertoire, de la chanson de Craonne à Bella Ciao, en passant par l’Affiche rouge, Mai, Mai, Mai, Paris Mai, La Grève, Hasta Siempre ou l’Internationale, évidemment. Sur scène, parfois tétanisés, des marraines et des parrains des Ami·e·s osèrent revisiter les couplets, certains réécrits par leurs soins.
« La Fête est un concentré vivant ce que l’Humanité ne devrait jamais cesser d’être toute l’année »
Des personnalités, non des moindres : Ernest Pignon-Ernest en personne, Ariane Ascaride, Gérard Mordillat, Pierre Soletti, Pierre-Louis Basse, et même Monique Pinçon-Charlot, qui, à la fin du Déserteur, après les célèbres mots : « Prévenez vos gendarmes/Que je n’aurai pas d’armes/Et qu’ils pourront tirer », se laissa tomber de tout son corps sur les planches, simulant la mort. Acclamations. Avant que ne survienne la panne de courant. Tout un symbole. Suivie d’une communion inouïe avec les centaines de spectateurs.
La regrettée Edmonde Charles-Roux, ancienne présidente des Amis de l’Humanité, l’avait dit un jour avec la sagesse de l’enthousiasme : « La Fête est un concentré vivant ce que l’Humanité ne devrait jamais cesser d’être toute l’année, un si précieux mélange d’idéal et d’idées, de maturité et de jeunesse, de joie et d’arts festifs… »
Avec l’âme, l’esprit, les bras et les bonnes volontés qui caractérisent l’association, créée en 1996, toutes les équipes des Ami·e·s de l’Humanité ont scellé, cette année, quelque chose en ampleur qu’elles n’envisageaient pas forcément : la conjugaison entre l’harmonie de ce qui les constitue et une réussite en termes de participation allant bien au-delà de leurs espérances. À l’image du succès de la Fête en général, les « ouah ! » et les « oh ! génial ! » se sont succédé en s’additionnant, après chaque débat, chaque concert, donnant sens et vie à ce fil d’Ariane sans cesse retissé, rehaussé, réinventé.
Un public à la hauteur de toutes les audaces
Que de moments inoubliables en vérité, qu’il serait vain de vouloir schématiser. De la prestation de l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring à celle d’Edwy Plenel, sans oublier ce « communisme qui vient » avec Bernard Friot et Bernard Vasseur, il y eut comme un trait commun bien résumé par André Minvielle, fidèle parmi les fidèles avec tous ses compagnons de musique et de poïélitique : « Un public rebelle et assoiffé de savoirs, qui réagit à la hauteur de nos audaces. » Ou pour l’exprimer autrement, cette formule de Cyril Mokaiesh, au bord des larmes après son tour de chant : « De quoi être saisi d’émotion et de stupeur. »
Ernest Pignon-Ernest, président des Ami·e·s, le signifia à plusieurs reprises : « Mais nous sommes envahis par la jeunesse ! » La journaliste et écrivaine Rokhaya Diallo, venue parler de « Femmes, races et classes » devant une foule débordant du chapiteau, ne démentira pas la réalité exceptionnelle d’un débat de près de deux heures. Intensité de l’écoute, qualité des interrogations exprimées par le public, toujours prêt à comprendre mieux, à en découdre.
« Avec ces participants-là, mille fleurs s’épanouissent, mille questions se posent, c’est unique en son genre », osa Gérard Mordillat. Ce que ne démentira pas Denis Olivennes, président de CMI France (le groupe de médias de Daniel Kretinsky), qui n’avait pas remis les pieds à la Fête depuis 1977. Face à lui, Fabien Gay, directeur de l’Humanité et sénateur, pour une confrontation majuscule sur l’état des médias et la mainmise des milliardaires, l’un et l’autre s’accordant parfois sur quelques constats inquiétants, exprimant le plus souvent leurs divergences profondes sur les solutions à entrevoir pour sauver le pluralisme de la presse.
Le « tout » l’emporte sur l’« accessoire »
Il n’est pas donné à tout le monde de prendre un bain de multitude. Et quand le Monsieur loyal des Ami·e·s demande fréquemment au public « Ça va ? », comme dans l’amour quand tout s’emballe, nous perçûmes une forme de fraternité matricielle. Car, là où tout se « joue » en « art collectif » se mesure aussi par les échanges autour du bar et du repas, organisé cette année par la fédération communiste du Bas-Rhin.
Des dialogues, des apostrophes, des embrassades, quand le « tout » l’emporte sur l’« accessoire », quand le mot de la fin n’est jamais bref. Il fallut d’ailleurs être là au bon moment pour saisir l’importance d’une phrase prononcée par Ariane Ascaride : « Ici, il n’y a pas de devoir, il n’y a que du désir. » Comme si, à chaque minute, il fallait s’attendre au surgissement de la pensée en action, propulsée dans toutes ses libertés et aspérités, conduite par des citoyens d’art et d’essai, a-musicien et philos’autres. Comme si ce monde en réduction continuait de créer des personnages à sa démesure.
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