À bord de l’avion qui le ramenait de Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron s’est tout à coup invité dans la campagne électorale. Quelques jours après avoir autorisé le premier ministre Gabriel Attal à ferrailler avec Jordan Bardella, candidat RN aux européennes, le chef de l’État s’est dit « prêt à débattre maintenant avec Mme Le Pen ». On le sait, le président, à qui le monarchisme de la Ve République sied à merveille, n’aime rien tant que d’apparaître en grand sauveur. Face au danger de l’extrême droite, placée au-delà des 30 % d’intentions de vote dans les sondages, il a donc une nouvelle fois décrété que la meilleure arme ne serait autre que lui-même.
Personne n’est dupe. La sortie présidentielle est, avant tout, une opération de sauvetage. Depuis trois semaines, la majorité se démultiplie pour voler au secours du soldat Valérie Hayer, dont la campagne n’en finit plus de s’embourber. Au point d’être menacée d’une troisième place derrière la liste de Raphaël Glucksmann. En s’impliquant personnellement, le chef de l’État tente de réancrer dans le paysage le fameux face-à-face Macronie-RN. Et d’instiller dans les esprits l’idée qu’aucune alternative ne serait possible. Cette stratégie, avec laquelle il a joué pour emporter les deux dernières présidentielles, se révèle un carburant inespéré pour une extrême droite en quête permanente de respectabilité et un poison pour la démocratie.
La passion du duel télévisé trahit un péché d’orgueil sans cesse renouvelé. Et, surtout, en dit long sur l’impuissance politique de l’Élysée à contrer la menace brune. Emmanuel Macron se prétendait le meilleur rempart face à la « lepénisation ». Il s’est révélé, depuis sept ans, incapable de monter la moindre digue. Derrière l’illusion des prestations médiatiques et des grandes déclarations d’intention, le bilan comptable est dramatique. Entre 2017 et 2022, sous le premier quinquennat, le RN n’a cessé de progresser électoralement. Pour finir par passer de 8 à 89 députés à l’Assemblée aux dernières législatives. Depuis deux ans ? Aucun inversement de dynamique. Au contraire. Les thèses nationalistes et xénophobes inondent de plus en plus les médias. Jusqu’à séduire certains milieux économiques, déjà prêts à « s’adapter » pour que le business ne soit pas pris au dépourvu en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite (lire notre enquête).
Face à cette lame de fond, les prétentions d’Emmanuel Macron de faire basculer l’opinion publique par ses beaux discours sont aussi vaniteuses qu’hypocrites. Le RN ne se combattra jamais par de simples coups de com et d’éclat. D’autant que sa progression constante s’est, précisément, nourrie ces dernières années de la violence des politiques néolibérales et autoritaires. L’extrême droite prospère sur la destruction des solidarités, la précarisation des travailleurs, le creusement des inégalités, la peur du déclassement ou encore la mise à l’index des migrants. Exactement le programme macronien, marchepied d’autant plus efficace pour le RN que le chef de l’État adore faire de ce dernier son adversaire idéal.
Le combat contre le RN n’a pas grand-chose à attendre de ces prestations sous projecteur. Seuls des politiques sociales ambitieuses sont à même de répondre, sur le fond, aux souffrances et inquiétudes des milieux populaires. Il est du devoir de la gauche de proposer cette alternative. Et de faire en sorte que le scrutin du 9 juin ne soit pas confisqué à nouveau par ce duo mortifère aux intérêts bien compris.