Les véritables enseignements des rapports livrés par la Cour des comptes ne se nichent parfois pas là où on le croit. Ainsi en va-t-il de cette « analyse » sur « la Trajectoire financière de La Poste pour les exercices 2019 à 2023 », publiée lundi 17 février par la haute juridiction. Derrière les chiffres et les constats alarmistes se dessine avant tout une certaine vision du service public qui a le mérite de jeter une lumière crue sur l’origine des alertes émergeant partout en France de la part des syndicats.
Que peut-on y lire ? Que La Poste subit « une dégradation de sa situation financière ». La faute à une rentabilité « insuffisante » de ses « activités de diversification » (la logistique et la bancassurance notamment), mais aussi – et il faut croire que la Cour des comptes assume l’oxymore – à la « faible rentabilité » de ses missions de service public, notamment celles liées à la distribution du courrier, frappée par « une baisse marquée et inexorable, tout comme la fréquentation des bureaux de poste ».
En témoignerait la chute du résultat net du groupe, passé de 1,2 milliard d’euros en 2022 à moitié moins en 2023, soit 514 millions d’euros. « Des mesures de remédiation dans le cadre d’un nouveau plan stratégique », prenant en compte « la baisse des métiers historiques », et un « réexamen du contenu des missions de service public confiées au groupe » s’imposeraient donc selon les magistrats de la Rue Cambon.
« Un incubateur à précarisation de l’emploi »
Dans le viseur, notamment : la fréquence de la distribution du courrier (actuellement de six jours sur sept) et les bureaux de poste, la branche services-courrier-colis ne représentant « plus que 15 % du chiffre d’affaires, contre près de 50 % en 2010 ». Il en irait de la santé des finances publiques, l’État étant actionnaire au sein du groupe à hauteur de 34 %, aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations (66 %).
À en croire les syndicats, la nouvelle orientation préconisée est pourtant déjà bien à l’œuvre, résultat du plan 2021-2030 mis en place, pour ajuster la stratégie de l’entreprise, par Philippe Wahl, le PDG de La Poste. Si la Cour des comptes le juge encore insuffisant, sur le terrain les secousses sont, elles, déjà redoutables pour les salariés et les usagers.
En décembre, quelque 20 000 intérimaires, qui enchaînaient des missions parfois depuis plus de dix ans, ont vu leur contrat brutalement interrompu. Mis sur le carreau, ils ont été la variable d’ajustement d’un système à partir duquel le groupe a depuis plusieurs années construit son modèle. « La Poste a cette particularité d’être un incubateur à précarisation de l’emploi. Que ce soit dans les agences de distribution ou les dépôts, il y a tellement de formes d’emploi que des dizaines de contrats différents se côtoient au sein d’un même site », pointe Laetitia Gomez, secrétaire générale de la CGT intérim.
Interrogée en décembre sur cette affaire, la direction de La Poste avait fait valoir « les recrutements supplémentaires de plus de 1 000 facteurs en CDI sur le dernier trimestre 2024, qui se rajouteront aux 2 300 recrutements externes de facteurs en CDI réalisés à fin septembre et aux 3 150 distributeurs de Mediaposte intégrés en février dernier ».
Pour Catherine Stolarz, pilote des activités poste à la fédération CGT FAPT, le compte n’y est pas : « Le départ des intérimaires est aussi une catastrophe pour ceux qui restent, parce qu’ils doivent assurer toute l’activité sans ce renfort qui était structurel. » La charge de travail serait à un niveau tel que les arbitrages dans le choix du courrier à distribuer seraient devenus monnaie courante. « La Poste est sur une politique uniquement de rentabilité et non plus de service public », conclut la syndicaliste.
L’inspection du travail alertée
Dans la Loire, le constat est partagé par les facteurs de la plateforme courrier du site de Champbayard, à Boën-sur-Lignon, et ceux du centre de courrier de Riorges, en grève depuis plus de deux semaines. Déjà sous pression, les premiers ont appris fin janvier la suppression de trois tournées, ainsi que la fermeture d’un guichet professionnel dans le centre de distribution, jugé trop peu fréquenté.
Une réorganisation décidée « sur un coin de table, sans en référer aux instances du personnel », selon Serge Ronze, secrétaire général CGT FAPT Loire, qui décrit des « salariés à bout, régulièrement en larmes », pour lesquels l’inspection du travail aurait été alertée.
Une détresse qui mêle épuisement, sentiment de mépris, mais aussi perte de sens. « On nous demande désormais de laisser dans les casiers le courrier jugé peu important, faute de bras. En fait, La Poste nous demande de mal faire notre travail et de ne plus remplir correctement nos missions », assène le syndicaliste. Pour mieux en justifier la suppression ?
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
Vous connaissez d’autres médias qui font ça ? Soutenez-nous !Je veux en savoir plus.