Ce matin, comme souvent, Addis se fait réveiller par ses camarades de chambre qui partent travailler. Ils sont 13 à dormir sur des matelas posés à même le sol de la petite pièce peu éclairée. Il fait chauffer de l’eau, et verse du café instantané dans une tasse. Il sort prendre l’air, s’allume une cigarette.
Devant lui, quelques personnes sortent, valises à la main. Mardi 9 avril, l’association France Terre d’Asile est venue quelques heures pour réaliser un diagnostic social. Ce jour-là, les habitants de ce squat situé à Vitry-sur-Seine, dans le sud de Paris, ont appris que la décision d’évacuation était exécutoire. Une semaine plus tard, l’intervention est confirmée, elle devrait avoir lieu ce 17 avril.
« On ne sait pas où aller, on a aucune information », indique Addis en écrasant sa cigarette. Lorsqu’il est arrivé en France, en décembre dernier, il a dormi dans la rue avant d’entendre parler du squat de Vitry. « En Éthiopie, quand j’entendais parler de la France, on en disait de bonnes choses. Pour venir ici, on a traversé le désert, la mer sur des bateaux surchargés, en espérant avoir une meilleure vie. », raconte-t-il.
Dans le couloir, il croise Romain Prunier, porte-parole de l’association United Migrants, qui aide à la vie du lieu. L’association, qui n’en est pas à son premier squat, a mis en place des camions de déménagement pour déplacer les affaires des habitants vers un lieu de stockage. « Des squats comme celui-là vont continuer à émerger en Île-de-France, parce qu’il n’y a aucune solution pérenne. C’est clair que ce n’est pas viable, mais c’est mieux que la rue. »
Entre 400 et 450 occupants après les récentes évacuations de différents lieux occupés en Île-de-France
En mai 2021, quand ils ont commencé à occuper les lieux, ils étaient environ 120. Le nombre a rapidement augmenté. Aujourd’hui ils sont entre 400 et 450, notamment à cause des récentes évacuations de différents squats en Île-de-France.
Ba Dawa était à Thiais, un squat de plus de 150 personnes évacué en juillet dernier. Depuis, il est installé à Vitry, où on l’appelle Le vieux. « Je suis arrivé en France en 2011. J’ai déposé une demande de carte de séjour ‘Vie privée et familiale’, mais ça traîne », explique le cinquantenaire. Il n’a pas trouvé de travail fixe, mais fait quelques petits boulots dans des restaurants. « J’aime bien cuisiner, ça me vide la tête quand ça ne va pas. Ici, je cuisine pas mal pour les gens, c’est toujours plus chouette de partager son repas. »
Dès sa mise en place, le squat a pu bénéficier du soutien de la mairie de Vitry, qui a accompagné la Croix-Rouge dans la mise en place de lits, d’eau et de produits d’hygiène. La conseillère municipale Maeva Durand indique cependant que l’évacuation devait se faire tôt ou tard : « Le squat se trouve sur le passage du T Zen, et une centaine de logements sociaux vont y être construits également. Les travaux auraient déjà dû commencer, il faut notamment désamianter et préparer les terrains aux dispositifs de sécurité. »
Pour la municipalité, prendre tout le monde en charge est impossible. L’état doit donc prendre ses responsabilités. « Concernant les familles, nous allons regarder celles qui ont un lien avec la ville, notamment avec les enfants scolarisés. Elles doivent être accompagnées sur un temps long. On va également interpeller la préfecture concernant leur situation, afin de voir les possibilités d’un logement d’urgence. »
Pour Romain Prunier, l’évacuation va balayer un travail social de plusieurs années : « À cause des Jeux Olympiques, énormément de squats ont été fermés. Ici, il n’y a pas de projet de construction ou de démolition avant plusieurs années. Le fait que des gens soient ici a permis de leur assurer un suivi juridique et administratif, et tout ça va s’envoler avec l’expulsion. » se désole le militant.
L’association craint qu’aucune solution d’hébergement en région parisienne ne soit proposée, pourtant nécessaire pour les 200 habitants du squat qui travaillent dans les environs. Depuis l’année passée, les personnes expulsées ont été orientées vers des « sas d’accueil temporaires » en région. Les associations de terrain dénoncent une volonté de faire « place nette » pour les Jeux Olympiques.