Pour la septième année consécutive, plus de 2 000 bénévoles ont recensé les sans-abris dans la capitale pour la Nuit de la Solidarité, jeudi 25 janvier. Reportage dans le 19ème arrondissement de Paris.
Dans le gymnase Hautpoul, en ce début de nuit, 150 paires d’yeux convergent vers le formateur chargé de préparer les bénévoles à cette 7e édition de la Nuit de la Solidarité. L’atmosphère est studieuse. Fonctionnaires de la ville, militants associatifs, habitants… les volontaires répartis en équipes se préparent à quadriller le 19ème arrondissement, découpé en secteurs, afin de recenser les sans-abris. Une initiative lancée par la Ville de Paris en 2018. L’an passé, l’opération avait permis de dénombrer 3 015 personnes sans-abri, une hausse de 16 % par rapport à 2022.
Après la théorie, le cas pratique. À chaque state of affairs correspond un questionnaire spécifique : « Quatre questions, cinq minutes de réflexion. Moins si vous êtes rapides », plaisante le formateur. Bourdonnement dans la salle. Les équipes de quatre ou cinq bénévoles relisent les questions, débattent, arrêtent leurs réponses. Quelques dernières recommandations sont données, puis tout le monde partage un repas.
« Toi, tu t’occupes de l’itinéraire, moi, je vais porter les papelards »
Les membres de chaque équipe font connaissance, se répartissent les rôles « Toi, tu t’occupes de l’itinéraire, moi, je vais porter les papelards », prévoit Christophe, chef d’une équipe de quatre membres et fonctionnaire de la ville de Paris, qui participe pour la première fois à l’opération. Il exprime quelques appréhensions à l’adresse d’un autre bénévole : « On t’observe d’abord, tu as l’habitude », mais l’enthousiasme domine. Tous sont convaincus par le projet. « Cela permet de voir ce qui est nécessaire. Par exemple, la mairie de Paris a ouvert un centre de domiciliation, pour que les sans-abris puissent recevoir du courrier, pour les démarches administratives, pour ouvrir un compte en banque », explique Léo Kielbowicz, lui aussi chef d’équipe, et lui aussi fonctionnaire de la ville. À 22 heures, il est temps de quitter le QG.
L’équipe n’a pas encore atteint son secteur qu’elle est déjà interpellée par deux jeunes passants : « Il y a un mort là ! Dans les toilettes ! ». « Où ça ? », réagit aussitôt Léo Kielbowicz. Sur place, quelques autres bénévoles sont déjà arrêtés devant les toilettes où un homme gît sur le sol. Deux pompiers demandent aux personnes attroupées de s’écarter. Les bénévoles se dispersent. L’homme est vivant.
Regarder sous les porches, dans les cash
Le quartier est calme, une nuit parisienne presque ordinaire sous une pleine lune qui se dévoile peu à peu. Pourtant, l’consideration est soutenue, il faut regarder sous les porches, dans les cash, s’assurer de ne manquer aucune personne sans-abri. « Il faut marcher doucement, pour s’ambiancer. Si on marche trop vite on arrive trop vite sur les gens, on leur parle trop vite. Le cœur doit battre au rythme du quartier », conseille Aliya 1, une habitante du quartier qui participe pour la première fois, mais avec l’expérience des maraudes au sein d’une affiliation de solidarité.
« Avant, j’avais une planque pour mes affaires, maintenant, je les garde avec moi. »
Demba, 40 ans
Ce quartier du 19ème, ce sont des HLM en face d’immeubles résidentiels enclos derrière de hautes grilles de fer. « Nous restons dans l’espace public », précise Léo Kielbowicz. Les immeubles sécurisés et la rue, deux mondes qui cohabitent. Aux frontières de ces mondes, aux frontières du rêve, un homme dort dans l’encadrement d’une massive fenêtre, enfoui sous une couette. « Quand on voit des personnes endormies, on ne les réveille pas, mais on les comptabilise », explique à mi-voix Léo Kielbowicz. Christophe remplit le premier formulaire, l’équipe poursuit son chemin.
Au 115, « ils ne répondent pas »
À demi allongé sur des cartons aplatis, derrière un petit meuble en contreplaqué blanc au fond abîmé, Demba, 40 ans, né au Sénégal et depuis quinze ans à Paris, répond patiemment au questionnaire, la capuche de son sweat-shirt relevée sur son bonnet. « Avant, j’avais une planque pour mes affaires, maintenant, je les garde avec moi. » Son assistante sociale n’a pas demandé d’hébergement. Interrogé sur le 115, il affirme, comme beaucoup d’autres, qu’« ils ne répondent pas ».
Trois jeunes hommes avec leur repas dans des sacs en plastique blanc passent ; ils dorment dans un autre secteur, sous une tente, mais s’éloignent rapidement, avant que l’équipe ne puisse leur demander de répondre au questionnaire. Aborder des personnes à la rue est parfois difficile. Certains sont méfiants, d’autres en quête de nourriture, comme cet homme élancé de 47 ans. En échange d’un sandwich et d’un cookie, vestiges du repas collectif, il s’arrête un immediate. Il tente avec un sourire un peu timide : « Il faut me donner cinq euros aussi », mais accepte de répondre. Il ne veut pas qu’on le reconnaisse. « Il y a les enfants, je ne veux pas que… » Il n’en dira pas plus.
Derrière les questions de l’enquête – anonyme – que posent les bénévoles, il y a des vies qui se dérobent mais qui affleurent parfois. La barbe poivre et sel, le regard doux et très cell, un sourire illumine parfois son visage. Il vient « du sud », ne précise pas le pays. Et la santé ? Il lève les yeux vers le ciel, sourit un peu : « Dieu merci, ça va. » Il est déjà sur le départ. Proposer de la nourriture, une boisson chaude : une idée « à faire remonter, pour faciliter le contact », se disent les bénévoles.
« Je n’ai pas de famille ici, je ne sais pas remark faire. J’ai besoin d’aide »
La inhabitants est curieuse, certains connaissent l’initiative. Quelques promeneurs tardifs indiquent des personnes sans-abris croisées et encouragent l’équipe. Sur le terre-plein central désert d’une massive avenue, une tente isolée, un fauteuil roulant garé devant. L’approche est précautionneuse, la femme – la seule dans ce quartier – à l’intérieur ne veut ni sortir ni répondre au questionnaire.
Le 24 janvier, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune de plus de 100 000 habitants. Porté par le Sénateur socialiste Rémi Féraud, le texte devrait, s’il est mis à l’ordre du jour et adopté par l’Assemblée nationale, généraliser au niveau nationwide la Nuit de la Solidarité. Cette initiative lancée en 2018 par la Ville de Paris, depuis suivie par d’autres villes, a pour objectif de recenser les sans-abris une fois par an afin de faire évoluer les politiques publiques et les équipements qui leur sont destinés. Le texte prévoit l’élaboration d’un rapport par le gouvernement au Parlement.
L’an dernier, sur la même zone, trois sans-abris avaient été recensés. Cette année, ils sont plus du triple. Des personnes très différentes, D’une petite cinquantaine d’années à ce jeune homme de 24 ans, arrivé à Paris il y a un an et qui parle à peine français. Le questionnaire existe aussi en anglais et cette année, d’autres langues sont testées dans quelques zones. Il explique sa state of affairs : « Je n’ai pas de famille ici, je ne sais pas remark faire. J’ai besoin d’aide, pour l’hébergement, pour l’école… ». Mais il n’est pas totalement seul : « Oui, j’ai des amis », s’agace-t-il presque, comme si la query lui paraissait incongrue. Les bénévoles lui demandent s’il a accès à des repas chauds : « Je bois du café, parfois. »
La tournée se termine avec la rencontre d’un dernier homme, arrivé en France by way of l’Italie il y a deux mois. Il a demandé l’asile et attend un logement. Difficile d’imaginer, derrière ses 45 ans, ses chaussures cirées, ses vêtements soignés et son sac à dos, qu’il dort dehors. La rue ne l’a pas encore marqué. « On peut avoir des préjugés, il faut les dépasser, aller vers les gens », rappelle Léo Kielbowicz. L’homme poursuit son chemin. Pour l’équipe, la nuit n’est pas terminée. Il est temps de retourner au QG.