Six mois que les drapeaux CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques) flottent devant les hôtels Campanile et Première Classe de Suresnes (Hauts-de-Seine), filiales du Louvre Hotels Group. Depuis le 19 août 2024, seize employés, pour la plupart des femmes de chambre, sont en grève.
Ce 5 mars, assises sur des chaises de camping au soleil, gilets rouges sur le dos et caisses de grève dans les mains, ces femmes n’ont rien perdu de leur combativité du début. Au contraire : « Ils pensaient qu’on allait abandonner, mais on est toujours là ! » s’exclame une lingère gréviste, en poste depuis onze ans dans le groupe.
Les dernières nouvelles donnent raison à leur lutte. Après des mois de négociations face à une direction « apathique », se désole Kandé Tounkara, représentante syndicale CGT, un premier succès a été enregistré : la promesse de passer tous les contrats en temps partiel en CDI à temps complet.
Mais « tant que l’accord n’est pas signé, on reste sur nos gardes », modère la cégétiste. « La plupart habitaient loin et devaient conjuguer leur vie de famille avec deux emplois mal rémunérés, c’était indigne ! » poursuit la déléguée syndicale. Parfois, seules dix minutes de temps de travail manquaient sur les contrats pour passer en temps complet, « mais cela n’empêchait pas qu’elles fassent des heures supplémentaires ! » dénonce Aboudou Djanfar, élu CGT au CSE.
Une salariée bloquée au Mali et licenciée dans la foulée
L’élément déclencheur de la grève, en août 2024, fut le licenciement de Magassa Sakho. L’employée, femme de chambre depuis onze ans au Campanile, avait posé ses jours de congé jusqu’au 28 mai pour aller voir sa famille au Mali. À la suite de la perte de ses papiers, elle se retrouve bloquée, obligée d’entamer une déclaration de perte à la préfecture du Mali dont les relations dégradées avec la France freinent une procédure déjà longue.
Ses supérieurs, pourtant informés de sa situation, envoient des courriers à son domicile francilien avant de la convoquer le 12 août pour un licenciement pour « une absence injustifiée de plus de deux mois », précise à l’Humanité la direction du groupe. De retour en France trois jours plus tard, elle reprend le travail un dimanche, sans être avertie de la procédure à son encontre. Le lendemain, la direction fait intervenir la police pour mettre Magassa à la porte. « C’est scandaleux, ils ont appelé les forces de l’ordre comme si elle était un voyou », réagit Aboudou Djanfar.
Une humiliation de trop pour les employés qui dénoncent depuis deux ans des procédures ciblées et répétées à l’encontre du personnel le plus ancien dans la société. « Les méthodes deviennent insupportables, dénonce l’élu CGT. Ils cherchent toutes les excuses pour limoger les anciens parce qu’on leur coûte trop cher. »
Depuis quelques années, Louvre Hotels fait appel à des équipiers polyvalents qui doivent se charger de la réception, de l’entretien des chambres, de la cafétéria. Une multiplication des tâches qui ne s’appliquent pas aux salariés arrivés dans l’entreprise avant l’adoption de ces nouveaux contrats polyvalents. « Un problème qu’ils tentent de résoudre en virant les anciens », croit savoir le représentant syndical.
« On ne demande pas leurs dividendes »
Depuis que le nouveau PDG du groupe est arrivé en 2023, tout est prétexte à faire des économies, dénoncent les grévistes. La compagnie, deuxième groupe hôtelier européen avec plus de 1 700 établissements, ambitionne d‘atteindre le top 3 mondial. « Ils ne remplacent plus les départs ni les congés maternité, commente Aboudou Djanfar. On est passé de 78 à 68 employés. La pression au travail s’intensifie. Mais il n’y a aucune reconnaissance. »
Actuellement, les femmes de chambre ne sont plus que 18 pour nettoyer les 300 chambres des deux hôtels. « On était 24 il y a encore quelques mois, affirme Kandé Tounkara. Pendant les jeux Olympiques, des collègues se sont retrouvées à deux pour faire 40 chambres, les conditions étaient très difficiles ! »
Malgré un emploi précaire et la pénibilité du travail, les professionnelles ont répondu à l’appel pour assurer leurs tâches lors de l’événement mondial. Seulement, la direction refuse toute augmentation de salaire et « estime que la prime de valeur partagée de 800 euros pour les temps pleins suffit », déplore la représentante syndicale.
Les rémunérations n’évoluent donc que très rarement. « Je gagne 1 565 euros environ sans les primes, alors que je suis là depuis douze ans, intervient une gréviste, mère de famille. Au siège, ils se sont partagés combien grâce aux JO ? se questionne la déléguée syndicale. On ne demande pas leurs dividendes. Juste 2 % ou 3 % d’augmentation et une prime de pouvoir d’achat, mais il est impossible de négocier, la direction est fermée. Nous voulons seulement de quoi vivre ! »
La direction précise auprès de l’Humanité « avoir mis en place des minima salariaux en fonction de l’ancienneté ces deux dernières années, lesquelles ont permis d’absorber l’inflation 2024 ». Elle souligne aussi qu’une prime JO de 900 euros a été versée en septembre 2024, « venant s’ajouter à une prime de partage de la valeur de 800 euros versée en janvier 2024 (…). Cela porte ainsi le montant de la prime globale au titre de 2024 à 1 700 euros ».
Au rythme du slogan « So, so, solidarité avec les femmes de Campanile » et encouragées par des passantes, les femmes de chambre ne baissent pas les bras. Malgré l’interdiction par la mairie de tout rassemblement ou manifestation demandés depuis le début du conflit, les employées s’installent devant l’hôtel Première Classe. « La police va venir, c’est certain », affirme Kandé Tounkara, avec habitude et détachement. « À quel titre nous refusent-ils de nous rassembler ? c’est un droit », s’exclament les femmes en lutte.
Si la direction pointe du doigt une « grève minoritaire » qui n’affecte pas son activité, les grévistes sont claires : « On souffre, mais notre mouvement de grève est légitime ! affirme avec conviction une employée. On le fait pour toutes les futures collègues qui nous remplaceront ! » Le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, sera présente au côté des grévistes devant l’hôtel Première Classe, à l’occasion de la grève féministe.
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