Le pas de deux auquel s’adonnent Marine Le Pen et Michel Barnier depuis septembre, sur un tempo qui s’est accéléré ces derniers jours, se termine. Un croche-pied de la première fait trébucher le second. Le premier ministre s’est pourtant couché devant la patronne de l’extrême droite pour éviter la censure, intercédant à plusieurs de ses demandes. En vain, puisque le Rassemblement national devrait malgré tout voter, probablement mercredi 4 décembre, la motion de censure qui pourrait faire tomber le gouvernement.
Pressé par une partie de sa base de sanctionner Michel Barnier – 62 % des sympathisants RN plébisciteraient la censure, selon un sondage Ifop – et conscient de sa position de force, le parti lepéniste avait lancé, jeudi 28 novembre, un premier ultimatum à Michel Barnier.
Liste de courses
Une liste de courses à laquelle le premier ministre a donc en partie répondu dans la foulée, promettant de renoncer à la hausse des taxes sur l’énergie et de réduire le panier de soins de l’aide médicale d’État, réservée aux sans-papiers. Sauf qu’il restait alors quatre jours avant le vote – ou l’adoption par 49.3 – du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le RN en a logiquement profité pour multiplier ses requêtes, demandant à l’exécutif de revenir sur de nouvelles « lignes rouges ».
Lundi 2 décembre au matin, à quelques heures de dégainer le 49.3, Michel Barnier cède à nouveau. Dans un communiqué officiel, Matignon assure qu’il n’y aura pas, en 2025, de déremboursement de médicaments, allant jusqu’à citer nommément la présidente du groupe RN à l’Assemblée, pour la cajoler un peu plus : « De nombreuses demandes ont été exprimées sur ce sujet. Mme Marine Le Pen, au nom du Rassemblement national, l’a rappelé au premier ministre ce matin encore lors d’un échange téléphonique. Le gouvernement s’engage à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement de médicaments en 2025. »
En séance, pourtant, ce sont les députés de gauche qui ont porté et fait adopter un amendement supprimant ce déremboursement, que la Macronie et LR ont fait retirer. Michel Barnier crédite désormais le RN de cette petite victoire sociale. Ce dernier n’allait donc pas s’arrêter en si bon chemin.
14 heures, au Palais Bourbon. Marine Le Pen réunit ses députés, et tente, quelques minutes avant l’examen du PLFSS, une ultime manœuvre : « J’ai déposé un amendement sur le renoncement à la désindexation des retraites. À charge pour le gouvernement de l’accepter ou de ne pas l’accepter. » Finalement, ni l’amendement ni la motion de rejet déposée par le PS n’ont pu être discutés. À 15 h 35, Michel Barnier dégaine le 49.3.
Et toujours l’imposture sociale
Dans la foulée, la marionnettiste Le Pen annonce vouloir couper les fils. Elle-même, comme son parti sur les réseaux sociaux, a confirmé que les députés RN voteraient cette semaine la motion de censure déposée par la gauche, en plus de déposer leur propre texte.
« Il y a une semaine, le gouvernement s’est tourné vers le RN qui lui a répété ses lignes rouges. C’est-à-dire des décisions qui étaient incluses dans le PLFSS, profondément injustes, qui faisaient payer les conséquences de l’incompétence d’Emmanuel Macron pendant sept ans, dette, déficits abyssaux… Punir les Français pour des faits dont ils n’étaient pas responsables n’était pas admissible », a-t-elle justifié.
En acceptant, depuis sa nomination, de devoir sa survie à Marine Le Pen, Michel Barnier aura donc eu tout faux. Il sera renversé après avoir offert un capital politique immense à l’extrême droite : cette dernière a ainsi pu apparaître comme un bouclier face aux mesures antisociales de la droite, un parti qui serait en capacité de négocier et dialoguer, tout en répondant aux envies de « dégagisme » d’une grande partie de sa base.
Une opération tout bénéfice pour le RN ? Le mouvement, qui ne jure que par les stratégies électorales, redoute l’impact que pourrait avoir le vote de la censure sur son électorat dit « modéré », plutôt aisé, historiquement de droite et pro-patronat. Pendant que Marine Le Pen parle de « pouvoir d’achat », charge à Jordan Bardella de réaliser le service après-vente auprès de ces nouveaux sympathisants. « Le rejet de ce budget, c’est aussi la protection des intérêts économiques et de l’attractivité de la France. En alourdissant le coût du travail, en retardant la baisse des impôts de production au bénéfice des TPE-PME, ce gouvernement condamne le pays à la stagnation économique, voire au décrochage », a développé le président du parti, sur RTL, lundi matin.
Pour son dernier ultimatum, le RN n’a pourtant pas exigé du gouvernement le maintien des exonérations de cotisations patronales ou la suppression des impôts de production. Il a choisi une mesure plus consensuelle et qui concerne en priorité une catégorie qu’il veut séduire, les retraités – 65 % d’entre eux sont par ailleurs contre la motion de censure, selon l’Ifop. Le RN poursuit donc son imposture sociale, et peut remercier Emmanuel Macron et Michel Barnier d’avoir joué son jeu.
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