Dans son cabinet ont défilé les poids lourds du Cac 40 et les avocats d’affaires les plus retors. À leur fébrilité parfois agressive, Renaud van Ruymbeke opposait une détermination calme. Un sourire poli. « Il n’était pas spécialement indulgent, se souvient l’avocat Henri Leclerc. Mais il était remarquablement intelligent ». Joint entre deux sessions d’assises, le juge Marc Trévidic retient ses larmes. « C’était un modèle ». L’ancien juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke est mort ce vendredi 10 mai des suites d’un cancer. Il avait 71 ans.
Figure de la lutte contre la corruption, « RVR » était de ces rares magistrats que l’on reconnaît dans la rue. Ses enquêtes sur le financement occulte du Parti Socialiste, l’évasion fiscale de Jérôme Cahuzac, les fraudes des époux Balkany ou du trader Jérôme Kerviel en avaient fait un personnage très médiatique. Son visage en lame de couteau, barré d’une moustache fournie et surmonté de fines lunettes rondes, était devenu familier.
Tout en louant son sang-froid et son peu de goût pour le placement en détention provisoire, les meilleurs avocats redoutaient la finesse de ses questions et l’impressionnante connaissance qu’il avait des dossiers.
Un seul dérapage
Excès d’humanisme ou de confiance en soi ? En 2004, Renaud Van Ruymbeke trébuche. Dans le cadre de son enquête sur l’affaire Clearstream, il accepte de rencontrer un témoin « hors procédure », le très fantasque Jean-Louis Gergorin, ancien vice-président d’EADS. La rencontre, organisée par l’avocat Thibault de Montbrial, est éventée.
Elle vaut à Renaud Van Ruymbeke un rapport sévère de l’Inspection des services judiciaires et un renvoi devant le Conseil supérieur de la magistrature. Après six ans d’enquête, le magistrat est finalement blanchi en 2012. « J’ai témoigné en sa faveur », raconte Henri Leclerc, qui voit dans cette erreur de procédure « l’humanité du juge. « Cette affaire l’a profondément meurtri, mais n’a jamais entaché son intégrité », commente de son côté Marc Trévidic. En 2022, dans son livre « Offshore », Renaud Van Ruymbeke continuait à dénoncer l’opacité des paradis fiscaux et appelait l’Europe à plus de transparence.
Passionné de football, grand amateur de permaculture -qu’il pratiquait dans son jardin, près de Rennes, depuis sa retraite en 2019- Renaud Van Ruymbeke était aussi un virtuose du piano classique. Quelques privilégiés se souviennent d’un concert, donné en juin 2019 dans une église des Sables d’Olonne, dans le cadre du festival Simenon dont il était un habitué. Il retrouvait, à cette occasion, son inséparable compère Gilbert Thiel, figure de l’antiterrorisme. « Pendant trois jours, nous avions l’impression d’être à la fête », évoque Marc Trévidic.
Cette année, à l’occasion du festival, Renaud Van Ruymbeke aurait dû participer à la reconstitution du procès Rimbaud-Verlaine. « Il m’avait téléphoné pour décommander, raconte Trévidic. Il se sentait faible, mais il espérait pouvoir nous rejoindre ». La rechute contre laquelle il se battait ne lui aura pas laissé ce loisir. « La France perd un grand magistrat et la justice un immense serviteur », a déploré le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti.