Il fallait oser. Après six mois d’enquête, la rapporteure Renaissance Sarah Tanzilli explique sans ciller que les problèmes du secteur de la petite enfance n’ont rien à voir avec sa marchandisation. « Les travaux ont démontré que les défaillances identifiées n’étaient pas la conséquence de l’ouverture du secteur des crèches au secteur privé ou de l’influence des fonds d’investissement », a-t-elle précisé à l’Agence France-Presse, alors qu’elle présente son projet de rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le sujet, ce lundi 27 mai.
Un système « à bout de souffle »
La députée du Rhône, pointe tout de même un système « à bout de souffle », observant une « complexité kafkaïenne, un sous-financement chronique, une insatisfaction des usagers et des personnels, une multiplication des dérogations ». Le projet de rapport, de 279 pages, dresse 73 recommandations. L’une des pistes envisagées est notamment de « ramener le taux d’encadrement à un adulte pour 5 enfants (1 pour 6 actuellement) d’ici 2027, pour permettre aux professionnels de bien faire leur travail et attirer des vocations ». Sarah Tanzilli propose également de revoir les modes de financements et de faire de la commune l’interlocuteur unique des parents, soutenue par un « versement petite enfance » imposé aux employeurs.
Depuis des années, les professionnels du secteur demandent une refonte totale des conditions d’accueil et une amélioration des conditions de travail. La CGT réclame ainsi « un véritable service public de la petite enfance, seule alternative à la marchandisation du secteur ». Allant dans ce sens, le député FI William Martinet se montre critique des recommandations du rapport. Pour lui, ce sont « de belles promesses sans moyens pour augmenter les salaires et donc qui ne verront jamais le jour », selon des propos rapportés par l’Agence France-Presse, lundi 27 mai.
Le député à l’origine de la Commission d’enquête présentera un contre-rapport
Le député des Yvelines est à l’origine de cette commission d’enquête sur le « modèle économique » et la « qualité de l’accueil » des enfants, non seulement au sein de ces crèches privées, mais aussi dans celles gérées par le service public. William Martinet a indiqué qu’il présenterait un contre-rapport pointant les effets néfastes de la marchandisation du secteur. Un constat qui ne fait pas de doute pour le parlementaire : « Les travaux ont fait la démonstration des effets néfastes des crèches privées lucratives » : 93 % des 26 fermetures administratives de crèches ont eu lieu chez des gestionnaires privés lucratifs, a-t-il indiqué lors d’une conférence de presse jeudi 23 mai.
Cette Commission d’enquête avait pu être lancée grâce au vote de tous les députés de gauche, avec 178 voix contre 161 lors du vote. Elle a vu le jour contre l’avis des députés de la droite et d’une grande partie des députés de la majorité. Pour autant, les fonctions clés leur sont revenues : le poste de président à un député LR Thibault Bazin, et celui de rapporteure à Sarah Tanzilli, députée Renaissance.
« En 20 ans, le secteur privé a raflé un quart du marché »
Si cette dernière souhaite axer ses conclusions sur le mode de financement qui incite à « accueillir le plus d’enfants possible » sans aller plus avant, de nombreuses enquêtes, comme Babyzness (2023) ou l’ouvrage le Prix du berceau (2023), ont démontré les conséquences de la multiplication des structures privées. Dans « Ce que la privatisation des crèches fait aux enfants », paru en septembre 2023, les auteurs évoquaient notamment des « maltraitances systémiques » et des « douces violences », comme le fait de « changer 10 enfants en dix minutes ». Dans nos colonnes, les auteurs précisaient qu’« en 20 ans, le secteur privé a raflé un quart du marché ».
Le scandale de la mort d’une fillette dans une microcrèche de Lyon le 22 juin 2022 au sein du groupe privé People and Baby, avait alerté l’opinion publique. L’aspect systémique de cette problématique a également été démontré dans un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas). Dans ce document publié en avril 2022, les auteurs font état d’une qualité d’accueil « très disparate » dans les établissements de la petite enfance. Nicole Bohic, inspectrice générale à l’Igas sur les conditions de travail dégradées des professionnels dans l’ensemble des crèches, évoquait une « maltraitance institutionnelle », à laquelle il faut mettre fin.
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