Dans l’appartement situé au premier étage du petit immeuble de São Paulo, les rayons du soleil perçaient malgré les imposants gratte-ciel d’en face et ceux jouxtant notre immeuble. C’était l’hiver au Brésil, le mois de juin, il faisait froid et l’air était très sec. Dans la maison, les meubles neufs reluisaient. C’est dans ce petit appartement que pour la première fois je les ai vus de près. Ces minuscules insectes à l’allure si particulière formant des files interminables. Dans les maisons brésiliennes, les « cupim » (« termites », en portugais du Brésil) étaient partout. Et contre eux il fallait agir vite et si possible de façon préventive, dès la construction des fondations des immeubles. Quelle autre image pour illustrer la corruption qui infiltre nos systèmes démocratiques ? Pendant des années, on ne voit pas qu’elle nous ronge de l’intérieur, les actions nocives se produisent silencieusement, et puis un jour il est trop tard, l’édifice démocratique tout entier s’effondre d’un seul coup. La corruption en France est un sujet tabou, une réalité que l’on a peur, collectivement, de regarder. On sait bien qu’elle existe « ailleurs », on n’ose pas croire qu’elle est aussi chez nous. Pourtant, selon l’association Anticor, elle coûte 120 milliards d’euros par an à la France, à la fois d’un point de vue économique mais aussi social et politique.
L’association a par exemple calculé que la corruption affectait notre confiance envers les personnes qui nous entouraient. Une personne qui vit dans une région où la corruption est plus élevée a un niveau de confiance envers les autres qui est de 23 % plus bas, et envers les institutions plus faible de 18 %. La semaine dernière, dans « le Nouvel Obs », le journaliste napolitain Roberto Saviano a tiré la sonnette d’alarme à propos de la corruption liée au narcotrafic en France : « La France est déjà corrompue. » Pour avoir travaillé pendant des années sur la question du prix des médicaments, je me suis toujours posé la question : pourquoi cette lutte n’avance-t-elle pas, alors que l’on est face à des « défaillances de marché » flagrantes qui vont à l’encontre des intérêts publics ? Sans nécessairement penser aux mallettes de pots-de-vin enterrées dans le jardin, il y a toute une gamme de façon de corrompre, y compris légales, et l’une d’entre elles, qui me semble la plus évidente, est le système de pantouflage, qui consiste à passer du secteur public au secteur privé lucratif et par exemple à des activités de lobbying, et inversement. Combien de décideurs politiques, anciens ministres, premiers ministres, anciens parlementaires se sont livrés à des telles activités ? Je vous laisse dresser la liste.
Tel un « cupim », la corruption érode notre confiance envers le système démocratique, l’État, ses fonctionnaires et ses élus, mais aussi nos voisins et les personnes qui nous entourent. Elle nous fait douter des politiques publiques, elle nous pousse vers des réponses simplistes comme celles proposées par les populistes. Il n’est donc pas étonnant que l’association Anticor, dont l’ambition est de « réhabiliter le rapport de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants, politiques et administratifs », ait eu tant de mal à obtenir le renouvellement de son agrément par le gouvernement en 2024. Le combat contre la corruption est l’un des enjeux majeurs actuels, car elle touche tous les secteurs. Pour lutter contre elle, il faudra beaucoup de courage, de volonté politique, de créativité et d’action collective. Mais il y va de la survie de notre système démocratique.
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