Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’a souligné : il existe un lien entre changement climatique et inégalités, les plus pauvres étant à la fois les plus impactés par les conséquences de celui-ci et les moins protégés par les mesures prises par les pouvoirs publics pour y faire face.
Le rapport d’Oxfam rendu public ce lundi 15 juillet, intitulé « Changement climatique : nous ne sommes pas prêt·e·s », montre « comment la grande improvisation des politiques d’adaptation favorise les plus riches » au détriment des droits humains.
Ce rapport montre que le changement climatique nourrit les inégalités. Ce n’est pas nouveau…
Quentin Ghesquière
Chargé de plaidoyer sur la campagne climat chez Oxfam et corédacteur du rapport
On sait que les plus riches, en polluant davantage, contribuent massivement à l’aggravation de la crise climatique et que les plus pauvres sont en première ligne en matière de conséquences. Mais ce rapport montre que les actions d’adaptation peuvent infléchir cette tendance, soit en accroissant soit en réduisant les inégalités. Prenons l’exemple des habitants des quartiers populaires.
En plus de vivre dans des endroits hyper-artificialisés, ils sont les plus exposés à la pollution de l’air, habitent des passoires thermiques… Alors que l’État devrait protéger ces populations, il ne remplit pas son rôle en n’offrant pas les moyens d’adaptation et en ne permettant pas de politiques urbaines beaucoup plus résilientes (végétalisation des espaces, isolation des logements sociaux, etc.).
C’est valable aussi pour les personnes qui travaillent en extérieur. On parle souvent des travailleurs du BTP, mais de nombreux autres métiers sont concernés et ne bénéficient pas de statut qui les protège du changement climatique. Au contraire, les politiques d’adaptation actuelle protègent avant tout les plus riches.
Prenons l’exemple de la « gentrification verte » : la végétalisation des villes augmente la valeur des biens immobiliers des populations aisées et entraîne le déplacement des populations modestes vers les périphéries non végétalisées, plus chaudes en été.
Vous estimez que cette situation constitue une menace pour nombre de droits humains en France ?
Sur les 50 droits fondamentaux garantis par l’Union européenne, 26 sont susceptibles d’être directement ou indirectement menacés. C’est par exemple le cas du droit à l’éducation : 7 316 écoles maternelles, soit environ 1,3 million d’enfants de 2 à 5 ans, seront affectées par des vagues de chaleur supérieures à 35 °C d’ici à 2030. On peut aussi évoquer le droit à la santé, alors que le système hospitalier est déjà en tension – 103 hôpitaux sont menacés de fermeture totale ou partielle d’ici à 2100 en raison d’aléas climatiques extrêmes.
Le nouvel hôpital de Nantes, dont la reconstruction est estimée à 25 milliards d’euros, est ainsi implanté dans une zone submersible, sans aucune prise en compte des effets de la montée du niveau de la mer, qui pourtant affectera l’île de Nantes et, du coup, l’hôpital. Et la liste est encore longue.
Les politiques d’adaptation de la France semblent être reléguées au second plan…
La France est dotée d’un plan d’adaptation depuis 2011. Mais il se résume à des déclarations sans objectif précis qui renvoient à des dispositifs déjà existants, dotés d’aucun moyen. Le dernier plan d’adaptation s’est achevé en 2022. À ce jour, aucun plan n’a été publié, ni soumis à aucune consultation.
L’État réagit en outre toujours après et par à-coups. Quand des mesures existent, elles sont activées en réaction à une catastrophe plutôt que par anticipation, et restent sectorielles. Il a ainsi fallu attendre les incendies de Gironde et des Landes pour que le budget consacré à la sécurité civile soit structurellement augmenté pour faire face aux nouveaux risques de méga-feux.
En plus d’être prises dans l’urgence, ces mesures sont souvent insuffisamment financées…
Les plans ont toujours manqué d’ambition et de ressources dédiées. Il faudrait consacrer plusieurs dizaines de milliards d’euros par an à l’adaptation. Mais il est impossible de donner un chiffre global. En revanche, on a chiffré les coûts économiques du manque d’adaptation.
Depuis 1980, la France a cumulé 120 milliards d’euros de pertes financières, soit le 2e coût le plus élevé au niveau européen. Et sur la même période, l’Agence européenne de l’environnement estime que 45 000 personnes sont décédées en France en raison du réchauffement climatique. Les projections à l’horizon 2055-2064 anticipent une baisse d’environ 1,5 % du PIB français liée au climat, soit une perte de 39 milliards d’euros…
Et dans le même temps, l’État alloue des milliards d’argent public à des activités contribuant au dérèglement climatique. On a néanmoins l’impression qu’il y a eu un sursaut sur ces questions ces derniers mois, je pense notamment au plan eau qui est loin d’être parfait mais a le mérite d’exister.
Pourtant, si on se réfère à la campagne des législatives, la question climatique a été totalement absente du débat politique…
C’est vrai, le sujet a été totalement éclipsé. Mais au niveau de la société, le climat reste la 2e préoccupation principale des Français, selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) publiée en 2023. Les Français ont bien compris l’enjeu.
Le réchauffement climatique est rentré dans leur quotidien, avec les épisodes de fortes chaleurs, les inondations, les incendies. Le mouvement des agriculteurs a également mis sur le tapis les questions climatiques et des aléas qui ont une incidence directe sur leurs revenus.
Cela démontre l’urgence à prendre le sujet à bras-le-corps. Au nouveau gouvernement de s’en emparer et d’y répondre. Nos recommandations – des investissements conditionnés à des critères de réduction des inégalités et d’efficacité, un droit du travail adapté au climat, un plan national d’adaptation au changement climatique contraignant, de vrais moyens alloués – sont là pour l’y aider.
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