Le monde est devenu cynique quant à l’intégrité des grands événements sportifs internationaux, et ce non sans raison. Depuis le scandale de corruption des Jeux olympiques des années 1990 – qui a impliqué les organisateurs des JO de Nagano en 1998, de Sydney en 2000 et de Salt Lake City en 2002 – nous avons été témoins d’autres scandales de corruption dans des événements sportifs majeurs dans des pays aussi divers que l’Allemagne, la France, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Russie, la Chine et le Qatar.
Mais Paris 2024 pourrait marquer l’avènement d’une ère nouvelle.
Les Jeux olympiques de Paris ont été caractérisés par une relative absence de scandales qui entachent souvent les Jeux. Si les controverses autour des boxeuses algériennes et taïwanaises et de la cérémonie d’ouverture ont fait les gros titres, le ton général a été positif. Des controverses mineures ont eu lieu avant l’événement autour de l’attribution de certains contrats et du mode de paiement du directeur de Paris 2024, mais l’événement lui-même a été largement épargné par les scandales de corruption officielle qui ont entaché les Jeux olympiques précédents.
En tant que porte-parole de l’effort mondial de lutte contre la corruption, je pense que les hôtes ont non seulement dissuadé les mauvaises conduites, mais ont également laissé un héritage positif en matière de lutte contre la corruption pour l’avenir du sport mondial.
Pourtant, alors que les États-Unis se préparent à accueillir quatre événements sportifs internationaux majeurs au cours de la prochaine décennie – dont des Jeux olympiques d’été et une Coupe du monde de la FIFA –, ils sont confrontés à une surprenante crise d’identité anti-corruption.
Une « révolution française » du sport
Le Français Pierre de Coubertin a ressuscité les Jeux Olympiques il y a 125 ans dans l’espoir qu’ils pourraient fournir un exemple de nations diverses en compétition, avec bonne volonté, selon un ensemble de règles convenues.
Aujourd’hui, parmi les règles que le monde souhaite le plus ardemment voir respectées figure le principe anti-corruption : le pouvoir ne doit pas être abusé à des fins personnelles, les athlètes comme les entreprises doivent concourir selon des règles communes, dans la transparence et la responsabilité.
Après 25 ans de violations répétées – et l’effondrement dramatique de l’image des Jeux olympiques – la France et le Comité international olympique ont adopté un certain nombre de réformes en 2017. Ensemble, ces réformes ont produit en silence une « révolution française » de la gouvernance des mégasports.
Le CIO a modifié son contrat « ville hôte omnibus » pour inclure, pour la première fois dans l’histoire, une clause obligeant la ville hôte à adopter des mesures de lutte contre la corruption de premier plan.
Cette même année, la France s’est retrouvée, en toute indépendance, au cœur d’un mouvement de réforme anti-corruption. Poussée par de multiples scandales embarrassants dans les secteurs public et privé, la France a mis en œuvre une loi anti-corruption historique, Sapin II. Cette loi comporte deux caractéristiques très innovantes.
Premièrement, elle exige qu’un large éventail d’entités des secteurs public et privé adoptent des systèmes obligatoires de conformité anti-corruption.
Deuxièmement, elle a créé une agence dédiée à la lutte contre la corruption, l’Agence Française Anticorruption, dont la seule mission est d’aider ces entités à mettre en œuvre les meilleures pratiques en matière de lutte contre la corruption.
Aussi prudentes que puissent paraître ces mesures, aucune n’existe aux États-Unis ni dans la plupart des autres pays du monde.
Puis, plus tard en 2017, ces forces ont convergé lorsque le CIO a attribué les Jeux olympiques d’été de 2024 à Paris.
C’était un moment fortuit : le premier pays soumis aux nouvelles règles d’accueil du CIO était déjà en train de vivre un mouvement de réforme anti-corruption historique et innovant – et il se produisait par hasard dans le berceau des Jeux olympiques modernes.
« La décennie la plus importante » pour le sport aux États-Unis
Sept ans plus tard, les signes montrent que le nouveau système a réussi non seulement à réduire la corruption, mais aussi à laisser un impact positif durable en améliorant les normes et les pratiques de lutte contre la corruption dans les secteurs public et privé.
L’Agence Française Anticorruption a mené un audit complet de l’écosystème de Paris 2024. Les préoccupations identifiées lors de l’audit ont été transmises aux procureurs, qui ont mené des enquêtes approfondies sur toute trace de corruption.
Lorsque les Jeux de Paris s’achèveront le 11 août, ils laisseront derrière eux un nouvel héritage olympique pour la France et un modèle pour les futurs hôtes : un ensemble renforcé de lois, de politiques, de pratiques et de normes promouvant les principes de lutte contre la corruption qui s’étendent au-delà de l’événement, et dont la mise en œuvre est accélérée par l’accueil de l’événement.
Autrement dit, dans quelques années, nous pourrons probablement dire que la France s’en sort mieux, et non moins bien, dans sa lutte contre la corruption parce qu’elle a accueilli les Jeux olympiques. Cela constituerait un changement radical de paradigme.
Alors que les Jeux de Paris touchent à leur fin, les regards du monde sportif vont bientôt se tourner vers les États-Unis et vers ce que le Département d’État a qualifié de « décennie la plus importante » du sport aux États-Unis. En l’espace de dix ans, les États-Unis accueilleront la Coupe du monde masculine de football de la FIFA 2026 (avec le Canada et le Mexique), les Jeux olympiques d’été de Los Angeles 2028, la Coupe du monde de rugby 2031 et les Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City 2034.
On pourrait s’attendre à ce que les États-Unis s’inspirent de l’exemple français et placent la barre encore plus haut en matière de lutte contre la corruption. Mais la situation est instable pour les États-Unis à cet égard.
Un défi olympique pour lutter contre la corruption
Le leadership américain en matière de lutte contre la corruption repose historiquement sur deux hypothèses : premièrement, que les États-Unis sont moins tolérants à l’égard de la corruption que la plupart des pays ; et deuxièmement, lorsque l’occasion leur est donnée de jouer un rôle de premier plan, ils sont impatients – certains diraient même trop impatients – de la saisir.
Les tendances isolationnistes ont gagné en importance dans la politique américaine au cours de la dernière décennie, et de nombreux électeurs semblent disposés à soutenir des candidats impliqués dans des controverses crédibles en matière de corruption. Il reste donc à voir si les Américains seront toujours aussi déterminés à donner l’exemple à l’échelle mondiale en matière de lutte contre la corruption.
En outre, les États-Unis ne disposent pas des deux éléments du cadre anti-corruption français qui ont rendu possible la révolution anti-corruption. Les États-Unis se contentent d’encourager les entreprises à adopter des programmes de conformité anti-corruption, sans les imposer. Ils ne disposent pas non plus d’une agence qui fournisse le type de soutien à la conformité anti-corruption que l’Agence française anticorruption a apporté à Paris.
En conséquence, les comités d’organisation de ces événements américains se trouveront dans une sorte d’angle mort en matière de lutte contre la corruption.
Je pense donc que les États-Unis devront innover, de peur de laisser tomber le relais de la lutte contre la corruption que la France va bientôt transmettre. Les Américains souhaitent-ils toujours être un leader mondial de la lutte contre la corruption, dans le sport, voire au-delà ? Alors que le pays sera sous les feux des projecteurs du sport pendant les dix prochaines années, il se pourrait bien qu’il se regarde dans le miroir.