« Non aux 103 licenciements » est inscrit sur une banderole à l’entrée du constructeur d’engins agricoles Massey Ferguson. À côté, sur le pont Blaise-Pascal enjambant l’impressionnant site Agco de 54 hectares, des croix funéraires et des silhouettes recouvrent les barrières. Ce mardi 3 décembre, les salariés sont sortis en nombre pour contester le plan social d’ampleur annoncé par la direction du groupe Agco le 7 octobre dernier. « 103 croix symbolisant les 103 licenciements », commente Thierry Aury, conseiller municipal PCF de Beauvais, soutien de la première heure.
Ces décorations sont venues s’ajouter aux croix et palettes disposées par les 30 salariés du week-end de la Gima – équipementier agricole, dont Agco est le principal client et actionnaire – également victimes d’un plan social et économique depuis mai 2024. Au total, ce sont près de 2 000 personnes qui travaillent en cumulé sur ces deux sites appartenant à la multinationale américaine.
« Où est passé l’argent public ? »
Les racines du scandale remontent à 2019. Après avoir racheté la friche Froneri (anciennement Nestlé) pour étendre sa production, le PDG d’Agco commandite la construction d’un pont pour relier ses deux usines alors séparées par l’Avenue Blaise-Pascal. Le tout aux frais du contribuable. Ce ne sont pas moins de 13 millions d’argent public dont 6 millions de l’État qui financent la construction de l’ouvrage. En contrepartie, l’accord était la création d’emplois. Or, moins d’un an après la formidable inauguration le 15 décembre 2023, ce sont deux plans de licenciements annoncés, « sans compter des centaines de fins de contrats d’intérimaires ou de prestataires », insiste Thierry Aury.
Installés depuis mai dans une petite cabane de fortune construite devant le site pour mener la riposte, les salariés de la Gima rejoints petit à petit par leurs collègues de Massey Fergusson se demandent où est passé cet argent public. « Sans doute dans les poches des actionnaires », suppose un salarié en grève. « Ce n’est pas le pont Pascal-Blaise, mais le pont de l’Agco », ironise un autre.
Alors que des bouchons commencent à se former sur l’axe, Laurent Dormard, délégué syndical CGT de la Gima, s’interroge : « Si le pont servait à tous les Beauvaisiens, pourquoi le PDG a prononcé un discours lors de l’inauguration et donné des petits drapeaux avec le logo de l’Agco à tous les salariés pour qu’ils les agitent ? De plus, que les gens traversent une route ou un pont, ça ne change rien pour eux, il y a autant de bouchons qu’avant. En revanche, ils ont subi des travaux et déviations de route éprouvant durant deux ans. » Tandis que des conducteurs klaxonnent pour affirmer leur soutien, le syndicaliste regrette « le manque de reconnaissance consternant de la direction ».
« La promesse n’est certainement pas tenue »
L’incompréhension est totale pour les salariés. Si Thierry Lhotte, président de l’Agco France, assure « avoir créé des emplois » dans « l’Observateur de Beauvais », Laurent Dormard rectifie le tir : « Si on fait la soustraction, on est en déficit. Depuis un an, il se déroule des PSE déguisés : plus de 70 collègues prestataires, certains avec lesquels nous travaillons depuis des années, n’ont pas été renouvelés. Il faut ajouter les centaines d’intérimaires mis à la porte. En prime, les deux PSE annoncés. La promesse n’est certainement pas tenue. »
Thierry Lhotte affirme agir « dans un plan de réorganisation mondial au sein du groupe » visant à supprimer 6 % de son effectif sur l’ensemble de ses sites, sur fond « de crise agricole ». Pourtant, 2022 et 2023 furent des chiffres record pour la multinationale sur le site beauvaisien. « Aujourd’hui, on est revenu à la production de volumes qu’on faisait antérieurement à ces années record, détaille le délégué cégétiste. Néanmoins à l’époque, avec les mêmes volumes, on était autant. »
Une délocalisation dissimulée au profit des actionnaires
Pour les salariés, l’explication est ailleurs. Anthony, ingénieur au bureau d’études et militant CGT, accuse la volonté de « délocalisation dissimulée de la direction ». « Ils utilisent le terme offshoring pour rendre le processus plus acceptable, dénonce-t-il, mais ils nous ont clairement dit qu’un rétroviseur dessiné en Inde était moins cher que le même modèle dessiné en France. » Sur la centaine de postes supprimés annoncés, une grande partie concerne le bureau d’études regroupant environ 200 salariés. « On a le sentiment que les ingénieurs connaissent aujourd’hui le scénario vécu par les ouvriers dans les années 1980 », soupire l’ingénieur avant de dénoncer « la trahison dans le contrat social qui promettait du travail aux bac plus 2 ou 5 ».
La mobilisation et la solidarité sont compliquées au sein des entreprises. Si les 30 salariés du week-end de la Gima sont en grève depuis l’annonce du PSE, le soutien de leurs collègues de la semaine reste infime. Pour cause, « la direction affiche une pression énorme sur nos collègues », explique Laurent Dormard. « Ils les ont menacés avec les augmentations individuelles annuelles », accuse-t-il. Les élus de l’opposition dans l’Oise, menés par Thierry Aury, ont alors adressé une lettre au préfet, dans laquelle ils l’appellent « à ne pas homologuer le PSE de Gima » dans un premier lieu « unanimement rejeté par les délégués du personnel ». Ce plan « est une façon de nous pousser gentiment à la porte, se désole un salarié. Avec vingt-six ans de boîte, ils me proposent le minimum, soit 27 000 euros, c’est inhumain alors que j’ai trois enfants ».
Du côté du bureau d’études, le détail des postes touchés par le plan social reste encore inconnu. « La direction entretient ce flou volontairement, dénonce Anthony, les collègues ont peur d’être par la suite dans le viseur direct du PSE s’ils se mettent en grève. » Un collectif de salariés s’est alors formé pour contrer la décision unilatérale de la direction. Après l’action de décoration « du pont de l’Agco » effectuée le 3 décembre, le directeur a annoncé revoir le nombre de licenciés à la baisse, en passant à 94 licenciements. Toujours « inacceptable » pour les ingénieurs.
« Nous avons en face de nous un patronat décomplexé »
Avec l’aide des grévistes de la Gima, une réunion est organisée à l’union locale CGT de Beauvais, en présence de représentants de la fédération de la métallurgie. Éric Moulin, juriste pour la fédération, épluche le document du plan social, dans une atmosphère aussi froide que la salle dont le chauffage a lâché. Le juriste alerte sur un document « imbuvable et bourré d’incohérences à se demander si cela est fait exprès pour léser les salariés ». Des modalités tellement abstraites qu’elles ne permettent même pas aux salariés de se projeter dans le plan. « C’est comme si tu achetais une maison sans la visiter », ironise un ingénieur.
Frédéric Sanchez, secrétaire générale de la fédération de la métallurgie CGT, insiste auprès des travailleurs pour aller chercher le soutien de leurs collègues de production : « Lorsqu’on supprime et délocalise la recherche et le développement, la production suit généralement très vite le même chemin. » Le cégétiste accuse « un patronat décomplexé », auquel il est impératif « d’imposer un rapport de force construit ». Face « au monologue social de la direction », le collectif s’organise dans l’objectif commun « d’annuler tout simplement ce PSE ».
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