La France serait « championne du monde des prélèvements obligatoires » et un « enfer fiscal », comme l’a encore répété Patrick Martin, le président du Medef, sur tous les plateaux depuis la rentrée. Selon l’Insee, le taux maximal des impôts et cotisations, rapporté au PIB, était de 45,3 % en 2017. Il était de 43,2 % en 2023. La moyenne européenne se situe entre 39 % et 42 % selon les années, et plusieurs pays, comme la Belgique, l’Allemagne ou le Danemark ont des taux de prélèvements obligatoires proches de ceux de la France, entre 42 % et 45 % de leur PIB.
Depuis le début des années 1980, ce taux reste toujours dans la même fourchette en France, les aléas de la croissance (qui font plus ou moins augmenter le PIB) et les réformes fiscales expliquent les quelques points d’écart d’une année à l’autre. En France, il y a un contrat social qui stipule que les impôts, ou contribution commune, existent pour offrir à toutes et tous une vie digne. Les cotisations sociales, qui financent entre autres les retraites et le chômage, sont du salaire différé, quand les impôts financent les services publics. « Le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », disait Jean Jaurès. En cela, on ne peut décemment pas comparer le taux de prélèvement obligatoire de la France à celui d’un paradis fiscal comme l’Irlande (21 %), ou à d’autres pays de l’OCDE comme les États-Unis (25 %), où accoucher coûte entre 15 000 et 50 000 dollars et une année à l’université, entre 15 000 et 100 000 dollars.
De cela, les Français en ont pleinement conscience, puisque selon le dernier baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France, publié en début d’année et réalisé par le conseil des prélèvements obligatoires, si 65 % des répondants estimaient payer trop d’impôts, 50 % préfèrent « améliorer les prestations fournies par les services publics, quitte à augmenter le niveau des impôts et des prélèvements », et 83 % des sondés pensent que l’État devrait dépenser plus pour certaines missions, comme l’hôpital ou l’école. Toutefois, toujours selon ce baromètre, 67 % des répondants sont insatisfaits de l’utilisation faite de leurs impôts (+ 3 % en deux ans). 82 % jugent même le système fiscalo-social inéquitable. Ils estiment ainsi que leurs contributions remplissent de plus en plus mal leur rôle de financement des services publics et de redistribution et de lutte contre les inégalités. Les deux tiers des Français ont ainsi le sentiment de payer plus d’impôts qu’ils ne bénéficient du système de redistribution. L’impression de payer trop d’impôts va de pair avec la baisse du consentement à celui-ci. « C’est une acceptation du principe et de la nécessité de l’impôt, qui le légitime sociologiquement et politiquement », définit Attac.
La majorité des Français reste bénéficiaire du système redistributif
En 2018, les économistes Piketty, Saez et Zucman avaient produit une étude mesurant que les deux tiers des Français recevaient en moyenne davantage, en prestations et en services publics, qu’ils ne versent en impôts, taxes et contributions sociales. Dans la continuité de ce travail, l’Insee a refait le calcul en 2023, et la situation semble s’être dégradée, puisque selon le rapport, 57 % des ménages français sont bénéficiaires nets de ce système de redistribution élargie. Dans le détail, il s’avère que « 90 % des individus de plus de 60 ans reçoivent plus que ce qu’ils paient, principalement via les retraites et la santé », contre moins de 50 % chez les actifs. Les chercheurs ont aussi pointé que des services publics de la santé et de l’éducation restaient deux fois plus efficaces pour atténuer les inégalités que s’ils étaient gérés par le privé. Mais la tendance est là, les impôts, s’ils remplissent toujours leur rôle redistributif, sont de moins en moins efficaces.
Résultat, les inégalités se creusent : le taux de pauvreté est passé de 12,5 % à 14,4 % en vingt ans, quand les ultrariches n’ont jamais autant cumulé : les cinq premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie et possèdent autant que les 40 % les plus pauvres en France. « La faible progressivité du système fiscal ne permet pas de réduire efficacement les inégalités. Ce sont principalement les services publics et la protection sociale qui le permettent (sans cela, le taux de pauvreté dépasserait 22 %) », rappelle Attac, qui invite à « renforcer la progressivité et le caractère redistributif du système fiscal, ce qui permettrait d’agir utilement contre les inégalités et pour le financement de l’action publique ».