L’escalade des hostilités entre Israël et le Hezbollah depuis septembre 2024 et les bombardements israéliens de zones civiles à travers le Liban ont déclenché un profond désastre humanitaire.
Le déplacement massif de plus d’un million de personnes, dont des citoyens libanais, des travailleurs migrants et des réfugiés syriens et palestiniens, a créé une crise au Liban. Pourtant, un phénomène tout aussi important se produit loin de la frontière sud du Liban avec Israël : le mouvement des personnes déplacées à l’intérieur du Liban vers la Syrie.
On estime que 400 000 Libanais et Syriens auraient fui vers la Syrie en passant par des postes frontaliers surpeuplés.
À ne pas confondre avec le retour, ce mouvement représente un renversement du flux de réfugiés qui a suivi la descente de la Syrie dans la guerre civile en 2011. Il est également emblématique d’un schéma plus large de crises de déplacement cycliques dans la région.
Les histoires complexes et entrelacées du Liban et de la Syrie – où chacun a été à différents moments un refuge pour les citoyens de l’autre – remettent en question les simples binaires souvent associées à l’expérience des réfugiés.
L’échange de rôles entre le Liban et la Syrie met en évidence non seulement la fragilité de la stabilité régionale, mais aussi la fluidité des déplacements – et les implications plus profondes que les mouvements transfrontaliers ont sur la dynamique sociopolitique des deux pays.
Une histoire de refuge réciproque
Les relations entre le Liban et la Syrie sont depuis longtemps complexes, oscillant entre coopération et tensions. Malgré le retrait officiel de la Syrie du Liban en 2005 après des décennies de force d’occupation, les deux pays restent liés en raison de frontières communes, de liens économiques et de problèmes de sécurité. La coopération existe dans des domaines tels que le commerce, mais il existe des tensions importantes, notamment en raison de la présence de plus d’un million de réfugiés syriens au Liban.
Pourtant, tout au long de leur histoire moderne, l’un des liens les plus durables a été l’expérience commune de déplacement et de refuge, remontant à la guerre civile au Liban. De 1975 à 1990, des milliers de Libanais ont fui vers la Syrie pour échapper au conflit sectaire qui a englouti leur pays.
La période d’après-guerre a cependant été marquée par un changement de dynamique entre les deux pays. Le retrait des troupes syriennes du Liban en 2005 a marqué un nouveau chapitre dans leurs relations.
Les tensions se sont accrues alors que le Liban cherchait à reconstruire et à affirmer sa souveraineté après près de 30 ans d’occupation syrienne. Pourtant, la tendance aux bouleversements de la région a rapidement vu les rôles s’inverser à nouveau des décennies plus tard, lorsqu’environ 180 000 Libanais ont trouvé refuge en Syrie pendant la guerre de juillet 2006.
Avec le début de la guerre civile syrienne en 2011, c’est au tour du Liban de servir de refuge. En 2015, un million de Syriens fuyant les violences ont fait le voyage vers le Liban.
Bien qu’il soit l’un des 44 pays à n’avoir jamais signé la Convention relative aux réfugiés de 1951, le Liban est le pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés par habitant au monde.
Parce que le Liban n’a pas signé la convention, il ne reconnaît pas formellement le statut de réfugié, ce qui donne au pays ce qu’il considère comme plus de contrôle sur sa politique en matière de réfugiés. Alors que le Liban reçoit une aide humanitaire de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, les réfugiés restent dans un statut juridique précaire et avec des droits limités.
Pour de nombreux Libanais, cet afflux récent de réfugiés syriens en fuite a ravivé le souvenir de leur propre déplacement, tandis que pour d’autres, il a alimenté les sentiments anti-réfugiés.
Rebondissant entre 2 pays déchirés par la guerre
Avec la dernière escalade du conflit entre Israël et le Hezbollah, l’histoire se répète une fois de plus. Les citoyens libanais, principalement des bastions du Hezbollah au sud du Liban et dans la vallée de la Bekaa, cherchent refuge en Syrie, un pays toujours aux prises avec son propre effondrement économique, ses violences et ses conflits internes.
Alors que le conflit sur le territoire libanais dure depuis plus d’un an, les mouvements vers la Syrie n’ont repris qu’à la fin septembre 2024, les gens étant de plus en plus désespérés de fuir.
Comme me l’expliquait une personne déplacée contrainte de fuir Beyrouth : « La Syrie n’était certainement pas une « meilleure » option que le Liban il y a six mois, mais la semaine dernière, depuis les attentats de Beyrouth et les assassinats politiques, la Syrie est plus sûre – malgré tout. ça passe. C’est dire à quel point nous nous sentons en danger à Beyrouth : nous oscillons entre un pays déchiré par la guerre et un autre.»
Implications pour la dynamique réfugiés-hôtes
La nature cyclique des déplacements entre le Liban et la Syrie bouleverse le discours politique dominant selon lequel la dynamique hôte-réfugié est fixe et unidirectionnelle.
Le déplacement des Syriens vers le Liban a été décrit par certains politiciens libanais comme étant à sens unique. Cela semble avoir pour but de présenter les réfugiés syriens comme les seuls bénéficiaires de l’aide – par opposition aux citoyens libanais – et de faire peser un fardeau sur le Liban.
Cependant, lorsque le déplacement se produit dans les deux sens, ce récit commence à s’effondrer.
Les réfugiés syriens qui cherchaient autrefois la sécurité au Liban considèrent désormais leur pays d’origine comme un refuge plus sûr, bien que fragile et temporaire. Pendant ce temps, les citoyens libanais sont confrontés aux mêmes types de vulnérabilité et de désespoir que leurs homologues syriens au cours de la dernière décennie.
Il est important de noter que les témoignages de ceux qui effectuent le voyage depuis leur domicile « temporaire » au Liban vers la Syrie soulignent que ces mouvements ne doivent pas être confondus avec un retour. Ils constituent plutôt en eux-mêmes une solution temporaire.
Comme me l’a expliqué un Syrien qui avait fui son domicile libanais : « Non, je ne reviendrai pas. Je préfère laisser un pied au Liban et un en Syrie. La Syrie n’est en aucun cas un endroit sûr. En tant qu’hommes, nous risquons d’être arrêtés et enrôlés de force. Cependant, le Liban est momentanément, à ce stade de son histoire, beaucoup moins sûr. Nous faisons cette évaluation semaine après semaine. J’ai d’abord envoyé ma femme et mes enfants. Je vais suivre.
De leur côté, les Libanais déplacés entrant en Syrie insistent sur le fait que ces mouvements sont « absolument temporaires ». L’un d’eux m’a dit : « La Syrie ne nous est pas étrangère. Cela semble proche et familier. Mais surtout, cela semble temporaire et c’est la bonne proximité avec le Liban. Dès que les choses se calmeront, nous rentrerons chez nous. Beaucoup d’entre nous n’ont plus rien vers quoi retourner, mais même dans ce cas, nous ne resterons pas en Syrie.»
La contrainte du déplacement
Le Liban et la Syrie sont, à bien des égards, mal équipés pour faire face à la nouvelle vague de déplacements.
En 2023, l’effondrement économique du Liban avait plongé 80 % de sa population dans la pauvreté, rendant presque impossible l’absorption de la pression supplémentaire liée aux déplacements internes massifs.
La paralysie du gouvernement, aggravée par l’impasse politique, laisse les personnes déplacées internes avec peu ou pas de soutien de l’État, dépendant principalement de l’aide et des réseaux communautaires pour survivre.
La Syrie, bien que dans la position « d’hôte » dans ce flux migratoire actuel, est également contrainte. Les infrastructures du pays restent dévastées par plus d’une décennie de guerre civile. Les services de base sont mis à rude épreuve et l’économie ne s’est pas redressée. Les organisations humanitaires qui coordonnent la réponse travaillent dans un contexte de ressources surchargées et de soutien en diminution.
Une région en perpétuel chaos
À mesure que le conflit armé entre Israël et le Hezbollah s’intensifie, la crise des déplacements de population au Liban et en Syrie risque, je le crains, de s’aggraver.
La récente vague de réfugiés syriens et libanais en Syrie révèle la nature cyclique des réfugiés dans la région. En fin de compte, la crise des déplacements de population en cours au Liban et en Syrie rappelle que le refuge est souvent temporaire et dépend de l’évolution géopolitique de la région.
L’histoire de ces deux pays, où tous deux ont servi de refuge aux populations déplacées de l’autre, souligne la complexité du déplacement au Moyen-Orient.
Le fait que des citoyens libanais cherchent désormais refuge en Syrie, un pays d’où plus d’un million de réfugiés ont fui il y a un peu plus de dix ans, souligne la volatilité des schémas de déplacement régionaux. Cela soulève également des questions cruciales sur la durabilité des systèmes internationaux de protection des réfugiés, qui reposent trop souvent sur des modèles de migration statiques et unidirectionnels et ne tiennent pas compte de la nature fluide et souvent réversible des déplacements.