L’année s’annonce rude, mais rien n’est insurmontable. Voilà dans quel état d’esprit, combatif, s’est tenue samedi 15 mars l’assemblée générale des Amis de l’Humanité, au siège du journal, à Saint-Denis. La journée a débuté par des paroles d’encouragement des parrains de l’association, l’ex-secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, la sociologue Monique Pinçon-Charlot, l’écrivain et cinéaste Gérard Mordillat, relevant l’utilité, en temps de crise politique, écologique, géopolitique, d’une « association de combat » pour un journal qui ne l’est pas moins. « Les Ami.es, c’est être là quand il y a des coups durs. Pour l’Huma, pour la presse en général », continuait la journaliste Aline Pailler. Surtout pour celle qui défend des « valeurs peu portées ailleurs »…
Jean-Emmanuel Ducoin, rédacteur en chef de l’Humanité et secrétaire national des Ami.es, a d’abord repris ses mots écrits dans la semaine : « Si les temps sont durs pour les humanités, dans un monde où les coquins dominent, l’association présidée par Ernest Pignon-Ernest compte sur une mobilisation de tous ses adhérents pour ne pas lâcher son fil d’Ariane : la défense du pluralisme de la presse, l’aide au rayonnement du journal fondé par Jean Jaurès, la création de lieux de rencontre et d’échange. »
Le vrai défi est à venir
Les Ami.es, qui, à défaut de s’être complètement refait une santé financière, ont présenté des comptes à l’équilibre pour 2024. « On ne peut plus rogner sur les dépenses, il faut obligatoirement augmenter les recettes », plaidait la trésorière, Janick Salvi-Santangeli. Aussi Ernest Pignon-Ernest et Gérard Mordillat, président et vice-président, ont-ils demandé à dix artistes (dont C215, Hervé Di Rosa, Kiki Picasso, Mustapha Boutadjine) de réaliser en tirage limité des estampes originales qui seront vendues au profit de l’association. L’opération sera sans doute lancée avant l’été lors d’une soirée festive, « dans un grand lieu parisien », avançait Gérard Mordillat lors d’une soirée.
Et, puisqu’il faut défendre cet outil dans « la bataille idéologique » que le directeur de l’Humanité et sénateur, Fabien Gay, appelle de ses vœux, le public s’est enquis de la santé du journal. Sur le plan financier, il est soumis à un régime strict par la surveillance du tribunal de commerce de Bobigny, « jusqu’en 2031 », a rappelé le directeur. Les comptes 2024 devraient être à l’équilibre. Mais le vrai défi est à venir.
« Certains artistes sont devenus inabordables pour nous, avec des concerts à 1 million d’euros ! »
Fabien Gay, directeur de l’Humanité
En 2025, le journal doit faire face au paiement des investissements réalisés (notamment pour le développement numérique) mais aussi à une hausse des coûts dans la gestion de la Fête, avance Fabien Gay. « On dépasse 8 millions de budget », avec des prestataires dont « les tarifs ont augmenté de 20 % », une « concentration de l’industrie musicale qui multiplie par quatre ou cinq les cachets »… « Certains artistes sont devenus inabordables pour nous, avec des concerts à 1 million d’euros ! »
Impossible de s’aligner sur les affiches d’autres événements, sauf à multiplier aussi le prix d’entrée à la Fête par les mêmes coefficients, ce que la direction « refuse » de faire pour garder au rassemblement son caractère populaire – le bon de soutien à la Fête de l’Humanité augmentera de « 5 euros seulement » pour 2025. Ajoutons à cela les « lourds investissements » réalisés sur le site, dans l’Essonne, pour permettre l’accès aux personnes à mobilité réduite (2 millions d’euros sur trois ans).
« L’Humanité magazine est quasiment introuvable, le quotidien très peu visible »
Ce ne sont pas les seules difficultés pointées par Fabien Gay. Le journal mène également la bataille, en premier lieu pour sa distribution qui « dysfonctionne ». « La Poste veut se désengager de la livraison des journaux pour se concentrer sur les colis », assure-t-il. En 2023, l’Humanité avait mené sa propre étude sur quinze jours, qui a démontré que 37 % de nos abonnés avaient connu au moins un incident de livraison durant la période ciblée, ce qui « accélère le désabonnement », conclut Fabien Gay.
Le journal se bat aussi pour améliorer sa visibilité : le nombre de kiosques diminue d’année en année, et le « placement pose problème ». « L’Humanité magazine est quasiment introuvable, le quotidien très peu visible », se désole le directeur du journal, qui a « porté, il y a un an, cette question d’égalité républicaine à l’Arcep », l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Sans effet jusqu’ici.
Mais le tableau serait trop noir si l’on ne listait pas les succès notables de l’Humanité. « Nous avons repassé la barre des 40 000 abonnés », se félicite Fabien Gay. Si la « marque » l’Humanité est parmi les meilleures progressions de la presse en 2024 (troisième avec 5,56 % d’augmentation de diffusion, derrière Libération, 9,9 % et le Monde, 8,16 %), « la transformation » du lectorat est « extrêmement rapide ». La proportion est presque égale entre abonnés numériques et papier, mais « 85 à 90 % des abonnements se font aujourd’hui sur le numérique », assure le directeur.
Si « on investit » sur les supports papier, quotidien, hebdomadaire (qui a récemment bénéficié d’une « rénovation ») et hors-séries, la stratégie de développement numérique va se poursuivre. Le renforcement de la rédaction en 2024 nous a permis d’accélérer le lancement de la chaîne Twitch de l’Humanité, qui a « passé la barre des 10 000 abonnés ». À l’émission mensuelle initiale Ça ira s’est ajouté le programme féministe Le torchon brûle, dont le deuxième numéro a été diffusé la semaine dernière ; et « on réfléchit à une troisième émission », qui pourrait être un rendez-vous de débats d’idées, avec pourquoi pas un face-à-face entre deux invités. Ce nouveau support n’a rien d’un gadget : dans la « bataille d’idées » qui nous oppose au libéralisme et à l’extrême droite, il s’agit, assure Fabien Gay, de donner aux citoyens « des arguments pour se forger une opinion libre et éclairée ».
Le journal des intelligences libres
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.120 ans plus tard, il n’a pas changé. Grâce à vous. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !